Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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prec Lettre à M. Del Furia du 1er octobre 1808 [Sans mention][1] [Sans mention] de Livourne - 17 septembre 1808 Suiv

Livourne, le … octobre 1808


Monsieur,

J Marianna Dionigi (1756-1826) Marianna Dionigi (1756-1826)
 
e suis encore à Livourne, et les apparences sont que j’y passerai l’hiver. Je demandais, comme je crois vous l’avoir marqué, un congé pour aller en France, mais on m’éconduit tout à plat. J’en demande un pour Rome, et ce sera, si je l’obtiens, un bon dédommagement de celui qu’on me refuse, car en France j’ai des parents, à Rome j’ai des amis, et je mets l’amitié bien loin devant la parenté, ou pour mieux dire c’est la seule parenté que je connaisse. Sur ce pied-là vous m’êtes bien proche. Aussi, sans mes affaires, je vous jure que je ne penserais guère à Paris et Rome serait encore pour moi la première ville du monde.
S'il faut vous expliquer maintenant comment le refus fait à ma première demande n'exclut pas la seconde, le voici. La permission d'aller en France dépendant du ministre, que je n'ai pu fléchir precando[2] ; l'autre dépend ici de quelqu'un que je gagnerai donando[3]. Je viendrais aussi bien à bout du satrape ou de ses suppôts ; mais il faudrait être là.
Pour vous dire ce que je fais ici, je mange, je bois, je dors, je me baigne tous les jours dans la mer, je me promène quand il fait beau, car nous n'avons pas votre ciel de Rome. Je lis et relis nos anciens, et ne prends souci de rien que d'avoir de vos nouvelles. Madame Dionigi m'a mandé quelquefois que vous vous portiez bien. C'est tout ce que je vous souhaite ; car c'est la moitié du bonheur, et l'autre moitié, mens sana[4], vous, est acquise de tout temps. Dieu vous doint[5] seulement, comme disaient nos pères, la santé du corps, et vous serez heureux autant qu'on saurait l'être. Cela ne vous peut manquer, avec votre tempérament et la vie que vous menez, et dans le lieu que vous habitez. Votre habitation, Monsieur, est choisie selon toutes les règles que donne là-dessus Hippocrate, et auxquelles je m'imagine que vous n'avez guère pensé. Ce n'est pas non plus ce qui fait que cette demeure me plaît tant, mais c'est qu'on vous y trouve.
Je songe tout de bon à quitter mon vilain métier. Mais ne sachant comment vont mes affaires en France, je ne veux pas rompre, je veux me dégager tout doucement et laisser là mon harnois[6], comme- un papillon dépouille peu à peu sa chrysalide et s'envole.
Permettez, Monsieur, que je vous embrasse en vous suppliant de me conserver votre amitié, qui m'est plus chère que chose au monde. En vérité, tout mon mérite, si j'en ai, c'est de vous avoir plu, et de connaître ce que vous valez.

 

De M. d’Agincourt

Rome, 10 octobre 1808

A Monsieur Courier
Commandant de l’artillerie à Livourne

Monsieur,

A Jean Baptiste Louis Georges Seroux d'Agincourt (1730-1814) Jean Baptiste Louis Georges Seroux d'Agincourt
(1730-1814)
 
mitié, parenté, tout ce qui me vient de votre part je l’accepte avec reconnaissance. Vous avez raison, la nature nous donne l’une sans nous consulter, l’autre est de notre choix, et d’être parmi les objets du vôtre me sera toujours doux et bien flatteur.
Je suis fâché que vous n’ayez pas encore obtenu le congé que vous demandiez, parce que l’incertitude où vous restez ne ressemble point à la tranquillité nécessaire à qui sait, comme vous, occuper ses loisirs. Je conçois que pour votre retraite vous attendiez moments et natures convenables, pour ne pas dire comme Horace, je crois, relicta non bene parmula[7].
Madame Dionigi ne m’a pas dit de vos nouvelles aussi souvent que je l’aurais désiré en encore moins à vous combien je l’aurais voulu, mais elle m’a parlé plus souvent du besoin qu’elle aurait de votre savoir pour les recherches érudites dont elle veut enrichir ses travaux pittoresques.
Si je vous avais encore cru à Livourne, je vous y aurais annoncé une autre Dame fort distinguée par ses talents littéraires auxquels elle a joint celui d’avoir fait deux fort jolies filles. Madame Brune, Danoise, qui a publié beaucoup de poésies dont les Allemands font infiniment de cas.
Si vous en faites autant de toutes ses productions et qu’elle soit encore dans votre ville, allez lui présenter de ma part civilités et respects.
On a dit qu’on voyait avec peine, mais sans être maître de l’empêcher, l’éloignement de notre ami[8] ; je crois qu’il est à Milan aujourd’hui où vous imaginez le plaisir qu’il aurait de vous revoir si vos courses vous y reportaient.
Mes yeux profitent de la permission que vous leur donnez car ils ne vont point du tout mieux ; s’ils me faisaient perdre la vue de tout ce que vous savez que Rome offre d’intéressant, la conversation serait ma seule ressource et quelle autre que la vôtre m’y pourrait être plus agréable ?
Entre cette crainte et cet espoir, je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.

d'Agincourt


[1] Sautelet indique : « A M. d’Agincourt, à Rome ». La réponse de celui-ci suit cette lettre.  Note1
[2] En priant.  Note2
[3] En donnant quelque chose.  Note3
[4]Un esprit sain.  Note4
[5] Du verbe duire, du latin ducere « conduire »: plaire, tirer, mener, donner.  Note5
[6] Souhait ô combien prophétique mais que M. de Sainte-Croix n’eut pas chance de connaître, étant décédé avant « l’affaire Daphnis et Chloé ».  Note6
[7] En abandonnant peu glorieusement mon bouclier. Horace, Odes, 7-10.  Note7
[8] Vraisemblablement Monseigneur Marini.  Note8

trait

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