Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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prec Lettre à son père du 28 avril 1787 A son père Lettre à ses parents du 25 janvier 1792 Suiv

[Paris, le 29 septembre 1791]

Ecole d'artillerie de Châlons-sur-Marne
Ecole d'artillerie de Châlons-sur-Marne
H ier mercredi 28 septembre, je me suis rendu, à mon ordinaire, chez M. Labbey. Il a reçu en ma présence une lettre du ministre par laquelle on lui annonce que le Roi vient de le nommer à la place de professeur de mathématiques dans l'École d'Artillerie qui s'établit maintenant à Châlons. Il a paru assez sensible aux regrets que j'ai témoignés fort expressivement, et tout aussi sincèrement, de me le voir enlever. Après quelques réflexions, qui n'ont duré qu'un instant, j'ai pris sur-le-champ mon parti et en lui faisant entendre qu'il ne m'était pas possible de me séparer de lui, je lui ai déclaré d'un air qui n'a pas dû lui déplaire que, s'il le trouvait bon, je le suivrais partout où il irait. Il m'a répondu d'abord fort obligeamment et m'a dit que n'ayant ni amis ni connaissances en Champagne, il entrait dans son plan d'emmener avec lui quelques-uns de ses élèves. Peut-être aussi n’ira-t-il à Châlons que pour y passer un mois et revenir ensuite ici où il pourrait, dit-il, demeurer encore deux mois. Nous nous sommes séparés là-dessus, et il m'a dit en me conduisant qu'on pourrait faire ses réflexions.
Les miennes sont déjà faites et l'ont été à l'instant même où j'ai su sa nomination. Rien ne serait, ce me semble, plus avantageux pour moi que de me trouver avec lui dans un pays où nous serions presque seuls, et où ses occupations lui laisseraient sans doute assez de temps pour me faire travailler utilement. Ainsi je ne pense pas que vous blâmiez mon projet. Il est encore à remarquer que là je me trouverais nécessairement plusieurs fois sous les yeux de mes examinateurs, au centre des mathématiques, perpétuellement environné des maîtres les plus habiles et d'élèves plus ardents au travail qu'aucun de ceux que je voyais autrefois ; peut-être même que s'il se rencontrait des obstacles imprévus dans la carrière du génie, si des circonstances qui pourraient alors naître m'offraient plus d'avantages ou plus de facilités en prenant parti ailleurs, peut-être dans ce cas pourrais-je tourner mes vues d'un autre côté, et faire servir ma science à demander quelque autre place militaire. Ce que je dis toutefois sans avoir changé de projet. En un mot, si vous pensez comme moi, il ne tient qu'à M. Labbey de m'emmener à Châlons. Si donc, après y avoir réfléchi, vous finissiez par approuver mon idée, j’imagine qu’alors il serait à propos, qu’il serait même nécessaire de lui écrire une lettre pour l’engager à se charger de moi. De mon côté je ferai tous mes efforts pour obtenir cela de lui. Je le crois véritablement bien disposé à mon égard.
Nous apprenons avec tout le plaisir que vous imaginez le rétablissement de vos forces et de votre santé. Nous n’étions pas sur cet article trop tranquille à beaucoup près.
Maintenant je sacrifie tout à mon dessein principal, mais je ne renonce pas pour cela totalement aux poètes grecs et latins ; c'est un effort dont ma vertu n'est pas capable. D'un autre côté, moins je me livre à cette étude, plus aussi je le fais avec plaisir toutes les fois qu'il m'est permis de quitter un instant ces campagnes silvestribus horrida dumis1, pour me promener dans des plaines semées de fleurs et entrecoupées de ruisseaux.
M. Labbey n’a plus que fort peu de temps à rester à Paris, en sorte que si vous jugez bon de lui écrire il faut nécessairement vous hâter.


[1] Les forêts hérissées de buissons épineux. (Virgile, L’Énéide, VIII))  Note1

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