Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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In memoriam Geneviève Viollet-le-Duc

Eugène Viollet-le-Duc
Eugène Viollet-le-Duc [photo Félix Nadar]
S econde fille de Georges Louis Viollet-le-Duc et de Renée Berthe Defaut, Geneviève Viollet-le-Duc a fermé les yeux à Neuilly le 9 décembre 2011. Elle les avait ouverts dans la même commune proche de Paris le 2 mars 1909 quelque deux ans après sa sœur Elisabeth. Avec elle, la société des amis de Paul-Louis Courier (SAPLC) a perdu une administratrice qui aura accompli une entreprise monumentale et aujourd’hui incontournable pour qui s’intéresse à Paul-Louis Courier et son œuvre.
Arrière petite-fille d’Eugène, l’architecte, elle fut fortement marquée – on le serait à moins - par la vie de son illustre bisaïeul. A peine âgé d’une dizaine d’années, celui-ci eut le privilège de voir et entendre, chaque vendredi, des célébrités dans le salon de son père Emmanuel. Parmi elles, Paul-Louis Courier. Emmanuel avait un frère aîné Sigismond, indéfectible ami du futur pamphlétaire, depuis leurs classes à l’École d’artillerie de Châlons. Familier du cénacle que tenait Etienne Delécluze, Emmanuel épousa Eugénie, sœur cadette de ce dernier, le 18 janvier 1810. Parmi les trois témoins du marié, le maréchal Duroc. Le couple eut deux garçons, l’architecte étant l’aîné. Sigismond, son frère et Delescluze correspondirent avec Paul-Louis.

S ’intéressant de près aux archives de ses ascendants, Geneviève comprit d’emblée que la correspondance de Courier connue par l’édition Sautelet de 1828 et reprise ensuite par d’autres était incomplète. L’idée germa en elle d’actualiser cette correspondance autant que faire se peut. Elle prit contact avec les descendants de Paul-Louis en tête desquels Laurence Courier, baronne Bich, et obtint l’autorisation de consulter les archives de la famille Courier déposées ensuite à la BNF. Au terme d’un long et minutieux travail auquel collaborèrent quatre femmes, à savoir l’historienne Suzanne Desternes, sœur d’Edith, l’italianisante Noëlle de La Blanchardière, l’helléniste Marie-Louise Concasty et la latiniste Annie Angremy, elle publia en 1976, 1978 et 1986 trois remarquables volumes de la correspondance de Courier, qu’elle annota avec la constante exigence de faire comprendre au lecteur les enjeux de son entreprise. Tordant le coup à un certain nombre d’inepties qui couraient sur le compte de l’écrivain, ce travail permit de dessiner avec beaucoup de sensibilité la personnalité d’un homme devenu familier à Geneviève à force de le lire et relire avec la détermination de ne rien laisser au hasard. Ne serait-ce que pour cela, les couriéristes sont et resteront à jamais redevables à cette grande dame.

C e n’est pas tout. Lorsque la SAPLC fut créée en juin 1967, elle accepta de bonne grâce le poste de président-délégué. Elle assura cette fonction jusqu’au 27 novembre 1971, date à laquelle elle fit part au C. A. de son désir de l’abandonner pour convenance personnelle. Elle fut remplacée par Lucien Psichari, petit-fils d’Anatole France. Néanmoins elle siégea sans discontinuer au C. A.
Mme Viollet-le-Duc était femme de tempérament. Elle ne s’en laissait compter par personne. Capable de faire front quel que fût l’adversaire si le désaccord portait sur Paul-Louis Courier, elle ne cédait rien, argumentait avec une rare clarté, la pensée aussi vive qu’incisive. Possédant son Paul-Louis sur le bout des ongles, elle finissait toujours par l’emporter. Son amour pour le pamphlétaire l’avait, en quelque sorte, rendue pamphlétaire à sa manière. Pour ne citer qu’un exemple, elle combattit toujours la thèse selon laquelle Courier aurait été franc-maçon. Pour elle, aucune preuve tangible ne permettait de confirmer cette hypothèse. Elle en conclut, fort opportunément, qu’on ne pouvait ni affirmer qu’il avait été frère, ni, à l’inverse, qu’il ne l’avait pas été. Ceci illustre l’intégrité intellectuelle de Geneviève Viollet-le-Duc.


Geneviève Viollet-le-Duc, une lumineuse et forte personnalité
par Laurence Winthrop

C ’était un samedi après-midi d’automne. J’avais pris rendez-vous avec Madame Viollet-le- Duc, chez elle à Neuilly.
J’avais lu les trois tomes qu’elle avait consacrés à la correspondance de Paul-Louis Courier. Je m’intéressais à ce pamphlétaire, à ses œuvres, à sa personnalité et à sa femme Herminie. Quelle avait été la vie de cette femme au visage grave, intense, quelle implication aurait-elle eue dans l’assassinat de son mari ? Geneviève Viollet-le-Duc devait en avoir une idée, après avoir vécu des années avec ce couple à travers les lettres que lui avait confiées Madame Laurence Bich, leur descendante.
Ce fut une grande dame aux cheveux blancs et au regard vif qui me reçut. Elle vivait dans un appartement au rez-de-chaussée d’un bel immeuble et son salon lumineux, meublé dans un style anglais, donnait sur un jardin encore verdoyant. Assises sur un canapé confortable, du thé et des chocolats devant nous, nous avons très vite abordé son travail, ses recherches. Ce qui m’a d’emblée frappée, ce fut sa manière simple et directe de me parler, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Elle se souvenait avec plaisir du travail de bénédictin qu’elle avait entrepris pour déchiffrer ces centaines de lettres manuscrites, pour les classer, puis les annoter. Elle ne s’était pas contentée de publier une correspondance au déroulement chronologique qui aurait déjà offert un éclairage complémentaire sur l’œuvre de cet homme de lettres. Elle avait en réalité poursuivi ce personnage de sa naissance à sa mort, à travers son temps et ses bouleversements politiques, à travers ses expériences de propriétaire terrien en Touraine après son mariage avec la fille de son ami Clavier, à travers ses conflits avec son maire comme avec le gouvernement, à travers son œuvre littéraire, son emprisonnement et sa fin terrible, assassiné dans ses bois. Etienne Delécluze
Etienne Jean Delécluze
Ses lettres faisaient souvent référence à des personnes ou à des événements de son époque, comme à celle de la Grèce antique. Geneviève Viollet-le-Duc effectuait alors des recherches en bibliothèque et établissait des notes en bas de page. Elle avait encore inséré des arbres généalogiques ainsi qu’un tableau chronologique qui mettait les événements de la vie de l’écrivain en parallèle avec ceux de l’histoire de France. « Vous savez, disait-elle, c’était passionnant, mais pas toujours facile, parce que certains historiens que je côtoyais me faisaient comprendre que je n’appartenais pas à leur cénacle…». Devant mon étonnement, elle me précisait que dans les années 70, les femmes dans ce contexte devaient parfois batailler. « Aujourd’hui, ajoutait-elle, c’est heureusement beaucoup plus facile, mais j’ai, moi, plus de 90 ans ! ».

Avec modestie, elle espérait avoir apporté sa pierre à l’appréhension et à la compréhension de l’œuvre de cet écrivain. Elle avait une admiration pour le pamphlétaire, pour son style incisif, son esprit, son humour souvent caustique. Elle se sentait presque en famille avec lui, du fait de l’amitié qui le liait avec ses ancêtres à elle, les Viollet-le-Duc. Comme Courier, Emmanuel Sigismond Viollet-le-Duc avait fréquenté l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne mais dans la promotion précédente. A la Restauration, ils se sont retrouvés à Paris, entretenant leur amitié littéraire avec encore le frère d’Emmanuel Sigismond, Emmanuel Louis Nicolas Viollet-le-Duc, et leur beau-frère Etienne Jean Delécluze dans l’immeuble habité par leurs familles respectives, rue Chabanais. « D’ailleurs, me dit-elle, je suis en train de publier la correspondance de cette génération des Viollet-le-Duc avec le fils d’Emmanuel Louis, Eugène, le futur architecte. Le premier tome est paru. Je prépare le deuxième. Mais vous savez, je suis bien ennuyée, j’ai un problème avec mon ordinateur et je n’arrive pas à me faire dépanner ! ».

Nous revenions à Paul-Louis Courier. Que pensait-elle de l’homme derrière l’écrivain ? Elle en mesurait toute la complexité. Elle lui reconnaissait ce sens de l’amitié. Elle dut s’interrompre car le téléphone sonna une fois, puis une deuxième fois : il s’agissait d’une demande pour donner une conférence sur son aïeul, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, puis d’une conversation plus personnelle avec sa petite-fille dont elle était très proche…
Je ne voulais pas m’imposer trop longtemps et manifestais poliment mon souhait de la laisser, mais elle revenait s’assoir sur le canapé, nous resservait du thé et reprenait la conversation avec une vivacité, un intérêt pour revivre cette aventure passionnante. L’homme ? Le mari ? Elle l’imaginait tourmenté, absent physiquement comme en pensée, ne pouvant s’installer durablement quelque part, aimant Herminie à sa manière, mais ne sachant ni le lui dire ni ne lui montrer. Certainement dépassé par l’urgence de son œuvre à écrire et à publier. Certainement aussi accablé lorsqu’il apprit son malheur conjugal.
Et Herminie, comment la voyait-elle ? La croyait-elle coupable, légère ? Au cœur de ce drame conjugal et de sa fin tragique, Geneviève Viollet-le-Duc s’était posé ces questions. Pour elle, Herminie souffrait cruellement de solitude. Sa nature bienveillante la portait à s’entourer de l’affection des gens simples autour d’elle, à défaut de gens de son milieu. Elle fut victime de Pierre et de Symphorien Dubois. Elle entretenait avec eux, avec Pierre surtout, un jeu dangereux de liberté affichée. Ils l’auraient plutôt manipulée. Herminie était pour elle une femme moderne avant l’heure, mais elle n’avait pas la moindre responsabilité dans l’assassinat de son mari.

Je suis repartie tard de chez elle, un exemplaire sous le bras de ce premier tome de la famille Viollet-le-Duc qu’elle m’avait offert et forte surtout du sentiment d’avoir eu la grande chance de rencontrer une personne de cette qualité.
J’ai aujourd’hui moi-même avancé dans la connaissance de la vie d’Herminie à la trajectoire peu commune, soupçonnée d’incitation au meurtre, emprisonnée puis innocentée, portraitiste de talent, mère de quatre garçons, morte à Genève à 47 ans et j’aurais aimé encore une fois revenir vers Madame Viollet-le-Duc. Je n’ai pas osé la déranger et je le regrette. Elle restera pour moi un exemple de femme de caractère, d’esprit et de grande gentillesse.

Laurence Winthrop

 

Paul-Louis Courier correspondance générale, tome 1 Paul-Louis Courier correspondance générale, tome 2 Paul-Louis Courier correspondance générale, tome 3

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