Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec A sa femme de Tours le 28 janvier 1916 A sa femme A sa femme le 12 novembre 1816 Suiv

A Madame
Madame Courier
Rue des 4 Fils n°15
A Paris

Samedi matin à 8 heures 9 novembre 1816.

H Coupes de bois ’ai fait hier ma course à Larçai par un temps très froid. J’ai vu la maison de cette bonne dame. Cela pourrait nous convenir, mais le prix n’a pas de bon sens. Bidaut m’a dit qu’il se chargeait de négocier cette affaire-là. Plusieurs marchands de bois sont venus voir nos coupes à vendre. Je crois qu’il y aura concurrence et que la chose ira bien malgré la diminution du prix du bois dans ce pays. En partant hier pour Larçai je pris à la poste ta lettre du 6 novembre. Date plutôt tes lettres du jour de la semaine, lundi ou mardi comme je fais. Ensuite tu me parles trop peu de toi. J’entrevois que ta mère te vient voir souvent.

Je cours de tous côtés pour ma chienne de vente. J'ai eu ce matin de bons renseignements : écouter tout le monde est ma règle. Je ne vendrai pas aujourd'hui à ce que je crois. Il fait un temps affreux. Je vais être obligé de retourner demain à Luynes ; c'est un rude métier que celui de ton intendant.

On a porté les enchères à 11 500F. C’était un prix raisonnable, car le bois est diminué depuis l’an passé. Je n’ai pas voulu vendre, l’adjudication sera remise à quinzaine ; mais je crois que je ferai affaire avant ce temps. Ils viendront me tourmenter comme l’an passé. On prétend cependant que j’ai mal fait de remettre la vente. J’entends monter l’escalier ; ce sont mes gens qui sont sur mon dos. Ils me parlent pendant que j'écris : je fais semblant de ne pas les écouter. Ils m'offrent 11 600 F, moitié comptant. Je ne sais qui diable leur a dit que je voulais 12 000 F. Les voilà qui m'offrent 12 000 : je refuse : les voilà partis. Je vais dîner chez Bidaut.

A 6 heures du soir.

J’ai retrouvé mes gens chez Bidaut, ils m’ont offert 12 000 fcs comptant. Je les ai pris au mot. Le marché était fait. Bidaut l’a rompu en exigeant qu’on lui payât ses frais d’adjudication. C’était 4 ou 500 fcs. Cela a gâté toute l’affaire. Mes paysans se sont dédits et rien n’est encore fait. J’en suis fâché. Bidaut me joue un vilain tour. Le jeune Debaune était là, il m’a offert 12 000 fcs à terme de six mois à un an. J’ai préféré l’agent comptant. Sans Bidaut, mon affaire était faite ; j’espère que ces gens reviendront. Je serais fort fâché de rester ici quinze jours. Je retourne chez Bidaut voir si mes gens ont reparu. Je ne le crois pas, il est nuit. Ils seront retournés à leurs villages. Si je n’étais pas obligé de ménager Bidaut, je ferais bien mieux mes affaires.


A 10 heures du soir.


Ma foi c'est fait pour 12 250 fcs, à Beaujean ou Bonjean, dont tu dois te souvenir1. Les paroles sont données, sans témoins à la vérité; mais foi de paysan vaut bien foi de gentilhomme : je ne crois pas avoir mal fait. Il m’a offert cela l’an passé, mais aussi le bois est diminué et l’on craint qu’il ne diminue encore2. Le marché s'est fait chez Desnœuds (qui par parenthèse est mort : c'est le gendre qui tient la maison) ; j'étais là à jouer aux échecs : mon homme entre et me prend à part. Nos débats commencèrent à sept heures, et vers dix heures nous conclûmes. J'ai écouté pendant trois heures toujours la même antienne : je suis connu, ce n'est pas pour dire, je vous paierai bien, demandez à M. un tel. Enfin nous avons frappé dans la main ; si je suis attrapé, ma foi... Que veux-tu ? Les enchères n'ont été portées qu'à 11 500 fcs Tout le monde me conseillait d'adjuger à ce prix ; on prétendait que, l'assemblée une fois rompue, je ne retrouverais plus les mêmes offres. J'ai tenu bon, et j'ai gagné 750 fcs. Ai-je bien fait, maître ?
Tu vas dire que 12 000 fcs comptant valent mieux que 12 250 fcs à terme. Mais en recevant l’argent comptant, je payais les frais de l’acte. C’était une centaine d’écus. Ainsi cela revient au même.
Demain matin je vais faire mon obligation et puis je pars pour Luynes.
Tu as fort bien fait de ne pas écrire à Haxo de venir te voir.
Je ne sais quand je pourrai retourner à Paris. J’ai encore quelques affaires assez importantes. Il faut que je tâche de me faire payer et de vendre ma Filonnière, car autrement nous ne saurions acheter une maison près de la forêt. Enfin j’ai bien des choses en tête.


Dimanche matin à Tours.

J’attends mon homme pour faire l’obligation. J’ai été chez Bidaut qui devait partir pour la campagne, j’ai suspendu son départ. Je suis bien aise que tout se termine sur le champ. Je suis enrhumé plus que jamais d’avoir marché dans la rosée, je n’ai qu’une mauvaise petite paire de souliers. Je m’arrangerai mieux l’année prochaine.
Redemande un peu mon Longus à M. Méjean ; il faut absolument ravoir ce livre : l'exemplaire m'est précieux à cause des notes que j'y ai mises.
A 10 heures.


Tout est fini, on m'approuve fort. Il est certain que le bois a diminué d'un quart depuis deux ans. Ces deux coupes-là auraient valu quinze mille alors, et le Domaine les eût données pour douze mille. Enfin, tout le monde trouve mon affaire bien faite. L'opinion du public varie sur mon habileté : on me prend tantôt pour un nigaud et tantôt pour un fin matois.
Adieu : je vais mettre ceci à la poste, et partir pour Luynes.
Ta lettre du 7 et 8 m’a fait grand’ plaisir. Je ne t’écrirai qu’à mon retour, qui sera, je pense, après-demain. Voilà mon cheval, adieu.


[1] Comment ne se souviendra-t-elle pas puisqu’il s’agit de Bourgeau contre lequel Courier soutiendra procès en 1819 ? Procès gagné par le marchand de bois.  Note1
[2] Ce qui tend à prouver que certains se servaient sans bourse délier.  Note2

trait

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