Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec  [Sans mention] Nous venons de faire un empereur… 1804 [Sans Mention] Sans mention (de Barletta) - 27 février 1805 Suiv

Lecce… [1804]

Mon colonel,

Assassinat d'un capitaine J 'ai à vous rendre compte d'un événement bien triste. Nous venons d'enterrer le capitaine Tela, qui fut hier assassiné par son hôte Don Joseph Rao. Depuis quelque temps D. Joseph, imaginant une intrigue entre sa femme et le capitaine, cherchait à les surprendre ensemble. Cela lui fut aisé ; ils ne se cachaient point, et, selon l'apparence, n'en avaient nulle raison. Tela n'était point un galant. Cette femme d'ailleurs très sage, ne le voyait que rarement, lorsqu'il lui fallait quelque service des personnes de la maison. Il n'y avait là rien de ce que le mari supposait. Les trouvant ensemble, il les tua. Ce n'était pas qu'il fût jaloux. Il se souciait peu de sa femme et ne vivait point avec elle, ayant d'autres liaisons connues. Mais quelques discours et la peur d'être appelé becco cornuto1 lui avaient tourné la cervelle. Voilà le point d'honneur italien. Ce becco cornuto est pour eux la plus terrible des injures ; c'est pis que voleur, assassin, fourbe, sacrilège, parricide.
Tela, comme par inspiration, voulut il y a trois semaines quitter cette maison. Son hôte l'y retint à force d'instances et de caresses. Avait-il dès lors son dessein ? On ne sait ; les avis là-dessus sont partagés. Hier il voit sa femme entrer dans la chambre du capitaine, pour lui remettre quelque linge qu'on avait lavé. Il la suit et lui porte trois coups de poignard. Elle eut pourtant encore la force de se sauver chez ses parents, où elle est morte cette nuit. Tela frappé au coeur, mourut à l'instant même.
Mais une chose à remarquer c'est le sang-froid de l'assassin. Venant de faire cette expédition, il rencontre sur l'escalier le colonel Huard, qui lui demande : Le capitaine est-il ici ? Montez, dit-il, vous le verrez. Et il paraissait aussi calme que si rien ne fût arrivé.
La ville est consternée. On craint les vexations auxquelles cela peut donner lieu de la part de gens habiles à saisir tous les prétextes. Nous cherchons fort le meurtrier, mais les malins disent que nous le cherchons partout où nous sommes sûrs de ne le pas trouver. L'affaire s'accommodera et l'on n'y pensera plus. Voilà pourtant trois hommes que nous perdons ainsi, de l'artillerie seulement, et sans qu'il en soit autre chose. Nulle punition, nulle plainte à ce governaccio de Naples. On se soucie peu des vivants et point du tout des morts.


[1] Bec cornu, c’est-à-dire cocu.  Note1

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