Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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Conférence prononcée à Paris par André Rivière
devant l’Amicale Régionaliste Anjou-Touraine
sur le 130e anniversaire de la mort de Paul-Louis Courier

La Chavonnière
La Chavonnière
I l y a une trentaine d’années, on pouvait voir sur la route de Vierzon, une voiture de place, comme on disait alors, qui, au sortir de la bourgade de Véretz, grimpait le coteau et se dirigeait vers la grande ferme de la Chavonnière, l’antique demeure de Paul-Louis Courier, à Véretz en Touraine.
Un vieillard à barbe blanche, quelquefois seul, d’autres fois accompagné d’un jeune couple et d’un enfant, en descendait. C’était Anatole France, M. et Mme Lyon et le petit fils Psichari1. Deux ou trois fois par an, il venait ainsi en admirateur, revoir les lieux où avait vécu le célèbre écrivain. Les propriétaires, M. et Mme Habert, le recevaient avec beaucoup d’amabilité. Il fit apposer une plaque souvenir en 1918 et forma le projet de commémorer le centenaire de Courier en 1925. Malheureusement, la mort l’emporta en 19232 et il ne put l’accomplir. Laissant à M. Marchadier, archéologue et secrétaire de M. le Maire de Véretz, le soin de l’organiser.
Une foule considérable de gens de lettres y assista, mais cette manifestation n’eut guère de lendemain, à part quelques fidèles et d’érudits dont le Livre d’or fit preuve de la visite. En 1950, il était difficile de retrouver la plupart des organisateurs ; tous étaient dispersés ou décédés. Ce fut le 2 septembre 1954 que quatre docteurs historiens de l’Université d’Utrecht (venus à la Chavonnière non seulement en touristes mais surtout en admirateurs de Paul-Louis comme ayant la langue et la diction la plus pure dans sa simplicité) apposèrent une plaque de marbre en hommage de la Hollande à notre grand écrivain. Ils demandèrent s’il était possible que l’inauguration de cette plaque eût lieu à l’occasion de son 130e anniversaire.
En ma qualité de membre de la Société Archéologique, car je les avais guidés dans leurs investigations et servi de cicérone, je répondis que j’en ferais part à ma Société ainsi qu’à mes amis couriéristes. Leur but était surtout d’écrire un livre sur Paul-Louis Courier en langue hollandaise, avec détails pris sur le vif. Ainsi, me dirent-ils, vous ignorez sans doute combien est populaire à l’étranger et surtout dans nos universités celui dont vous possédez les biens matériels qu’il faudrait mettre en valeur. Ce fut pour nous une suggestion qui méritait d’y apporter toute notre attention.
A la suite, nos démarches eurent, finalement, un résultat peut-être aléatoire, mais enfin, après une entente avec la commune de Véretz, c’est-à-dire : les administrateurs, M. le Maire en particulier3, et l’Amicale des Anciens élèves du collège Paul-Louis Courier, nous pûmes ébaucher la mise sur pied d’une manifestation au cours de l’année 1955. Déjà le 10 avril, jour anniversaire de la mort de notre pamphlétaire, notre journal régional « la Nouvelle République » fit paraître un article rappelant le centenaire et les circonstances de l’apposition de la plaque par des étrangers. Enfin, en accord avec M. l’archiviste départemental, le secrétaire de M. le Préfet de Tours, nous décidâmes de fixer au 23 octobre cette manifestation du souvenir. Des invitations furent lancées. J’alertais d’abord nos écrivains, les invitant à prendre la parole en cette circonstance : Madame Jehanne d’Orliac, M. Jean-Marie Rougé, M. Jules Romains, Mlle Marcelle Joynet, d’autres encore, puis, finalement, après l’acquiescement de quelques-uns, flattés de cet honneur, nous élaborâmes un programme littéraire très nuancé.
Connaissant l’existence de certains descendants de closiers et vignerons et bûcherons de ce Maitre de la Chavonnière, j’allais les interviewer et leur demandais de venir sur la place exposer les dires et opinions de leurs aïeux sur la personne de Courier. Sur les indications de M. le Bibliothécaire de la ville de Tours, je pressentais un professeur d’histoire du collège Paul-Louis Courier : M. Guillon, ancien député et très couriériste, afin de présenter, comme il se doit, les documents inédits et faire l’apologie du célèbre écrivain. Il fut très sensible à cette invitation et promit son concours.
Donc le 23 octobre, sur la place, autour du monument magnifiquement décoré (drapeaux et plantes vertes) par les soins de nos édiles municipaux et le Comité des Fêtes, se pressait une foule composée en majeure partie de personnalités de la Touraine. Les autos et les cars s’alignèrent le long des rues du château, et sous la présidence de M. le Maire, à 11 heures, la manifestation commença. En ouverture, la fanfare Sainte-Cécile de Véretz nous régala de morceaux du temps de l’Empire.
Pendant ce temps, le comité recevait à tour de rôle les maires de la Touraine : M. Bonneau, adjoint, remplaçait le Maire de Tours, les Maires de Larçay, Montlouis, etc., le curé Boulmé. Nos orateurs : Madame Jeanne d’Orliac, Mademoiselle Marcelle Joynet. Puis, le descendant, arrière-petit-fils de Courier : M. Laurent Courier de Méré, assisté de son cousin. L’ambiance était vraiment sympathique. Mon collègue couriériste, André Gibert, déclara ouverte la manifestation et lut un discours de François Poncet sur Courier. M. Coiffeteau, président de l’Amicale du collège Paul-Louis Courier salua les autorités et personnalités avec beaucoup de distinction. Jeanne d’Orliac, avec son talent d’orateur, nous retraça la vie et l’œuvre de notre grand vigneron. Ce fut ensuite mon tour de présenter tout le folklore Paul-Louis Courier. Rappelant les lieux de souvenirs divers : la place, le monument, la tombe, le mausolée dans la forêt, la ferme des sept péchés, je présentais à tour de rôle les personnages, dignes vieillards de 85 à 96 ans, parlant de leurs grands-pères, ayant connu et parlé à Courier ; l’un d’eux parla lui-même au micro en termes très explicites qui provoqua une réelle émotion dans l’assistance ; puis, un autre, poète écrivain de l’école de Loire, M. Bizeau, nous lut un magnifique poème à la gloire du vigneron de la Chavonnière. Enfin, pour terminer cette présentation de folklore, je fis danser le célèbre quadrille que l’on dansait à cette époque sur cette même place et ce, par les enfants du village. Rappelant ainsi la Pétition envoyée aux Chambres par Courier en faveur des paysans qu’on empêchait de danser. La fanfare clôtura par un exquis morceau de l’Empire.
La Chavonnière était pavoisée, aussi, à l’arrivée des nombreux cars et autos ayant quitté la place de Véretz, les propriétaires M. et Mme Habert firent les honneurs d’une belle réception à tous les invités. L’arrivée de M. Béziau, secrétaire général remplaçant le Préfet, fut saluée par le Comité. M. le Maire lui fit un discours de réception approprié et Mlle Marcelle Joynet, secrétaire générale des Écrivains tourangeaux, prenant la parole, fit un exposé brillant des qualités du célèbre pamphlétaire sous la fenêtre même où il écrivit ses œuvres les plus piquantes.
Après l’inauguration de la plaque des Hollandais par M. le Secrétaire du Préfet, je présentais M. Jean Guillon, professeur d’histoire au Collège Paul-Louis Courier, ancien député. Prenant la parole, il présenta l’exposition que nous avions installée dans la grande salle comme il fit la nomenclature de toutes ses œuvres et des objets usuels dont : son stylet, son écritoire, son coffret et surtout son sceau-cachet, véritable bijou, une améthyste de grande valeur, conservée à la mairie de Véretz, sa table-bureau et son fauteuil. Il fit son apologie, réfutant les dires de certains grincheux. A cette diatribe, M. le Secrétaire répondit courtoisement et inaugura l’exposition.
A ce moment, la foule, pénétrant dans la vaste cuisine, admira ces souvenirs avec cette émotion propre à des érudits vis à vis de l’un de leurs compatriotes tourangeaux mis à l’honneur. Un délicieux vin du Clos de la Chavonnière fut servi dans la salle à manger, offert par les aimables propriétaires M. et Mme Habert, et l’on porta des toasts à la grande vigilance des dévoués conservateurs de cette demeure historique. Le livre d’or exposé et ouvert se couvrit de signatures des notabilités présentes.
Pendant plus d’une heure, un vent de familiarité souffla à la Chavonnière où chacun, sans se connaître auparavant, mais ayant le même esprit, sut s’apprécier mutuellement dans cette ambiance couriériste. M. le Maire invita toutes les personnalités à clôturer cette belle manifestation par un vin d’honneur offert par la municipalité. La file de voitures se dirigea vers la mairie ; la grande salle, magnifiquement décorée par les soins de M. Bertrand, instituteur et secrétaire, fut un régal des yeux et, sur les tables fleuries s’alignaient les coupes et les fins gâteaux au milieu des bouteilles poussiéreuses, dans un superbe encadrement de feuillage. Sur le mur, se profilaient les gravures représentant Paul-Louis Courier à tous les âges, suivant différents auteurs. Nouveaux discours, nouveaux toasts portés à la santé de nos édiles. Remerciements, congratulations diverses terminaient cette journée littéraire qui s’inscrira dans les annales de Touraine.

Que conclure de cette manifestation ?
Pourquoi le 130e anniversaire ?

Simplement ceci : si nous attendions encore vingt ans pour commémorer le 150e, l’oubli propre aux Français serait peut-être total et resterait-il encore quelque régionaliste pour la fête et le bicentenaire ? Devions-nous laisser nos gloires françaises en veilleuse ? Journée du régionalisme autour de Paul-Louis Courier ? oui ! car l’unanimité a été créée de toutes pièces par des hommes de bonne volonté.
Et il y avait encore toutes les tendances ! Je m’en référerai au commentateur Président de la société Archéologique qui, dans la séance du 27 octobre, à son hôtel de la place Foire-le-Roi, en termes chaleureux, a félicité les organisateurs de cette manifestation d’avoir pu réussir cet effort considérable de grouper dans un large éventail multicolore, toutes les opinions, depuis le plus blanc jusqu’au plus noir, sous le signe du régionalisme.
Les suites peuvent être incalculables. Déjà, l’étranger averti de ce mouvement, grâce aux universitaires. La Hollande, la Belgique, la Suisse (le Président du journal « la Tribune de Genève » a fait don du deuxième livre d’or) attirées par la propagande des châteaux de la Loire –Son et Lumière- viendront en plus grand nombre dans cette partie de la Touraine, où des aménagements touristiques sont prévus grâce au Comité.
Mouvement touristique et littéraire (voir Syndicat d’Initiative). de nouvelles éditions des œuvres de Courier sont à l’étude. Déjà, un écrivain : Maurice Allem vient de sortir une magnifique vie de Courier. Nos Hollandais vont en éditer prochainement. La Touraine en bénéficiera glorieusement.


[1] Devenu adulte, ce petit fils succéda à Mme Viollet-le-Duc à la présidence de la SAPLC.  Note1
[2] Légère erreur de l’auteur ; Anatole France s’est éteint en octobre 1924 (NDLSAPLC).  Note2
[3] Il s’agissait de M. Emmanuel Poirier.  Note3

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