Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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A Monsieur Courrier (sic)Lille, 14 février 1812.
à Rome

J Berger_et_bergere.jpg Bergère endormie par François Boucher
 
e ne vous parle point de votre argent, mon cher Courrier, parce que M. Pigalle vous écrit à ce sujet ; ainsi je ne répondrai qu’aux autres articles de votre lettre. Celui qui me plaît certainement le plus, est celui qui m’annonce votre prochaine arrivée à Paris, quoique je doute encore un peu, attendu que chaque année c’est la même chose ; au printemps dernier je me suis rendue à Paris, mais c’est bien vainement que je vous y ai attendu, mon cher cousin. Aussi cette fois-ci, j’ai bien résolu de ne plus arriver la première au rendez-vous pour ne pas courir le risque d’y être seule. Songez-vous à ce que cela a d’humiliant ? Assurément j’irai bien volontiers vous trouver à Paris, mais en fin ce voyage tout petit qu’il vous paraît ne dépend pas tout à fait de moi ; ne suis-je pas en puissance de mari, et si je ne pouvais aller à Paris, est-ce que vous auriez la cruauté de repartir pour l’Italie sans me voir ? Je ne vous le pardonnerais pas de ma vie ; il faut venir ici, nous irons ensemble si vous voulez, voir la Hollande ; n’en aviez-vous pas le projet ? et puis ne voulez-vous pas voir vos petits cousins et leur sœur, croyez-vous que je vous les mènerai tous cinq à Paris ? Vous me paraissez furieusement choqué de leur nombre ; eh ! bon Dieu, que vous importe, quel intérêt y prenez-vous… Alfred est un grand garçon de dix ans qui est en pension à Paris. Jules ira le rejoindre cet été, et quoique vous en disiez de ma famille, j’espère que vous trouverez mes enfants gentils ; et il n’y aura plus de général braillard[1] , ni de barcelonnette, c’est une chose dont je vous réponds.
Vous paraissez avoir de la peine à quitter ce beau ciel d’Italie ; au fait celui de Paris vous semblera bien sombre en comparaison ; que vous êtes heureux d’être à Rome ! Allez, je vous réponds que si je pouvais être homme seulement pendant six mois, je me donnerais entre autres ce plaisir-là. J’ai une bien grande envie de connaître l’Italie ; j’ai eu une seule fois l’occasion d’y aller, vous étiez alors à Milan, je crois, je n’ai pu en profiter, et je vois bien qu’une occasion perdue, est perdue sans retour.
Adieu jusqu’au mois de mai, mon cousin, le joli mois pour se retrouver ! Comme cela est frais, comme cela est pastoral ! Malheureusement nous n’avons guère l’air, vous et moi, d’un berger et d’une bergère, et huit années qui se sont écoulées depuis que nous nous sommes vus ont dû nous donner un certain air de raison dont nous nous serions bien passés.
Écrivez-moi quand vous vous mettrez en route, je vous en prie, je vais faire des vœux pour que le rossignol chante de bonne heure cette année.
Adieu, mon cher Courrier, j’aurai beaucoup de plaisir à vous revoir, et en attendant je vous embrasse de tout mon cœur.

Sophie Pigalle


[1] Surnom attribué par Courier à Alfred lorsqu’il était très jeune.  Note1

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