Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Sans mention de Cassano - août 1806 [sans mention] A Mme Dionigi - 7 septembre 1806

Scigliano … août 18061

André Masséna André Masséna, duc de Rivoli, Prince d'Essling, maréchal d'Empire (1758-1817) T on patron nous écrit : J'ai reçu une lettre du général, comme vous pas trop honnête. Il veut dire : comme celle que vous avez reçue. Tout le reste est de ce style : ce garçon-là ira loin.
Or, écoutez, vous qui dites que nous ne faisons rien. Nous pendîmes un capucin à San-Giovanni in Fiore, et une vingtaine de pauvres diables qui avaient plus la mine de charbonniers que d'autre chose. Le capucin, homme d'esprit, parla fort bien à Reynier. Reynier lui disait : vous avez prêché contre nous. Il s'en défendit. Ses raisons me paraissaient assez bonnes. Nous voyant partis en gens qui ne devaient pas revenir, il avait prêché pour ceux à qui nous cédions la place. Pouvait-il faire autrement ? Mais si on les écoutait, on ne pendrait personne. Ici nous n'avons pu pendre qu'un père et son fils, que l'on prit endormis dans un fossé. Monseigneur excusera. Il ne s'est trouvé que cela. Pas une âme dans la ville. Tout se sauve et il n'est resté que les chats dans les maisons. Nous rencontrons par-ci par-là des bandes qui n'osent pas même tenir le sommet des montagnes. Leur plus grande audace fut à Cosenza2, où l'Anglais3 les amena. Il les fit venir jusqu'à la porte du côté de Scigliano et ils y restèrent toute une nuit, sans que personne dedans s'en doutât. S'ils fussent entrés tout bonnement (car de gardes aux portes, ah oui ! c'est bien nous qui pensons à cela), ils prenaient au lit Monseigneur4 avec la femme du major. L'Anglais fut tué là. Le matin, nous autres déconfits qui venions de Cassano, traversant, à Cosenza, nous sortîmes par cette porte à la pointe du jour et les trouvâmes là dans les vignes. Il s'était avancé, lui ; sa canaille l'abandonna. Je le vis environné ; il jeta son épée en criant : prisonnier ! Mais on le tua ; j'en fus fâché. J'aurais voulu lui rendre un peu les bons traitements que j'ai reçus de ses compatriotes. C'était un bel homme, équipé fort magnifiquement. On le dépouilla en un clin d'œil. Il avait de l'or beaucoup.
Nous allons à la Mantea5 ; mais, si nous trouvons porte close je ne sais comment nous ferons. Verdier a je crois quelques canons. Nous, pandours6, nous n'avons que des cordes. Adieu.


[1] Sautelet écrit : Scigliano, le 21 août 1806.  Note1
[2] Le 18 août.  Note2
[3] Nom donné à un chef de bande.  Note3
[4] Masséna.  Note4
[5] Ayant dû rembarquer en Sicile pour se soustraire à la malaria qui la décimait, l’armée anglo-napolitaine arma plusieurs places fortes avant de rembarquer pour la Sicile. Parmi ces places, Amantea, et non Mantea comme l’écrit Courier. Défendue par 1200 soldats, elle résista pendant deux mois au siège du général Jean, Antoine Verdier (1767-1839) qui disposait de peu de canons. Elle capitula avec les honneurs le 6 février 1807.  Note5
[6] Autrefois soldat irrégulier d’infanterie hongroise. Courier l’entend en son acception péjorative.  Note6

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A Mme Dionigi - 7 septembre 1806