Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Lettre sans mention de Strasbourg - 2 juin 1809 [Sans mention] De M. Akerblad - 21 juin 2016 Suiv

Vienne, en Autriche, le 19 juin 1809.


Madame,

V Général Jean Ambroise Baston de Lariboisière Général Jean Ambroise Baston de Lariboisière (1759-1812)
et son fils Ferdinand (1790-1812)
par Antoine Jean Gros
 
ous approuverez sûrement la liberté que je prends de vous écrire, car j'ai à vous parler du général et de monsieur votre fils. Leur santé à tous deux est telle que vous la pouvez souhaiter. Monsieur votre fils m'a tout l'air d'être bientôt un des plus jolis officiers de l'armée. Il le serait par sa figure quand il n'aurait que cet avantage ; mais j'ai causé avec lui, et je puis affirmer qu'il raisonne de tout parfaitement. Où preniez-vous donc, s’il vous plaît, qu'il avait l'air un peu trop page[1] ? Je n'ai rien vu de plus sensé. En un mot, Madame, si son frère, comme on me l'assure, ne lui cède en rien pour le mérite, vous êtes heureuse entre toutes les mères[2]. Je vous parle le langage de l'Évangile ; ainsi je pense que vous me croirez.
Quant au général, l'empereur sait l'occuper si bien qu'il n'aura de longtemps le temps d'être malade. C'est une chose qui nous étonne tous, que sa tête et sa santé résistent à tant d'affaires. Cependant il trouve des forces pour tout. On ne sait vraiment quand il dort, et l'heure de ses repas n'est guère plus réglée que celle de son sommeil. Avec tout cela, Madame, il se porte mieux que jamais, et n'a sûrement rien à désirer, sinon d'être près de vous.
Ces renseignements authentiques, venant d'un témoin : oculaire et digne de foi, ne vous déplairont pas, je crois ; voilà par où je me flatte de vous faire agréer ce griffonnage. A mon arrivée ici, je me suis d'abord mis fort bien avec le général, en lui donnant de vous, Madame, des nouvelles exactes, récentes et satisfaisantes, sans me vanter, puisque je vous ai vue bien mieux qu'il ne vous avait laissée. L'idée m'est venue de vous faire ma cour par le même moyen, en vous marquant fidèlement l'état où se trouvent deux personnes qui vous sont si chères.
A présent votre bonté ordinaire fera que vous serez bien aise d'apprendre où en sont mes affaires. Vous savez, Madame, que le général Songis s’en est allé[3], que M. de Lariboissière le remplace dans le commandement de l'artillerie de l'armée. Je crois en vérité que c'est moi qui ai arrangé tout cela. L'Empereur n'eût pas fait autrement s'il n'eût songé qu'à m'obliger. En arrivant je suis allé droit au général, sans même savoir que l'autre fût parti. Le lendemain mon affaire fut présentée à l'empereur, qui s'avisa de demander ce que c'était que ce chef' d'escadron, et pourquoi il avait quitté. Le général répondit comme il fallait, sans blesser la vérité[4]. Bref, la conclusion fut que je reprendrais sur-le-champ du service. Il n'y manque plus que je ne sais quel décret que doivent-faire ceux qui les font, et puis la signature, et me voilà en pied. Vous dirais-je maintenant, Madame, ma pensée tout naturellement ? J'aimais M. de Lariboissière par une ancienne inclination, qui commença dès que je le connus (outre l'estime que personne ne' peut lui refuser). Maintenant la reconnaissance s'y joint ; et si cet attachement d'un officier à son chef fait quelque chose au service, il n'y aura point dans l'armée d'officier qui serve mieux que moi.
Je suis avec respect, Madame.


[1] Ferdinand, fils du général de La Riboisière était l’un des pages de l’empereur. Il avait à ce titre, charge de porter les lettres du souverain à leurs destinataires. Il mourut le 12 septembre 1812, des suites de la bataille de la Moscowa.  Note1
[2] Paraphrase du célèbre « Vous êtes bénie entre toutes les femmes ».  Note2
[3] Voir la lettre précédente.  Note3
[4] Sautelet a imprimé « la vanité ».  Note4

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