Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec A la comtesse de Salm-Dyck De la comtesse de Salm-Dyck A Sigismond Viollet-le-Duc Suiv

[Dyck le 15 avril 1813].


Château de Dyck Château de Dyck
 


J e suis ici depuis cinq jours, Monsieur, et, (ce que vous savez peut-être déjà) j’y suis venue sans compagnon de voyage. Une circonstance m’ayant privé du mien, je n’ai pas voulu que vous vous croyiez un pis-aller et j’ai quitté Paris seule, toute occupée des tristes pensées causées par ma séparation d’avec ma fille[1].
Il y a peut-être quelque caractère à m’être exposée à ce voyage solitaire ; mais je ne hais pas à me mettre à l’épreuve, et d’ailleurs la crainte de vous voir me suivre par complaisance ou pour remplir un engagement pris légèrement, m’eut gâté le plaisir de vous avoir et de causer avec vous ; et je trouve beaucoup plus beau de vous attendre en vous laissant la liberté de n’y pas venir, que de vous avoir enlevé de Paris en vous le voyant regretter : c’est à vous maintenant de décider de ce que vous avez à faire ; au moindre vent je me démets entièrement de tous mes droits sur mon cavalier servant ; mais ‘il veut s’exposer à l’ennui d’une vaste et solitaire maison il y sera le très bien venu du mari et de la femme.
Sachez pourtant que rien n’est plus triste que cette campagne pour ceux qui ne sauraient pas s’y occuper ; on n’y entend que la langue des habitants ; ceux que l’on entend ne nous comprennent pas, leurs goûts et leur manière de vivre étant tout à fait différents des nôtres ; les promenades sont tristes, il n’y a ni vue ni beaux sites, presque pas de voisinage, et, par-dessus tout cela, un reste de printemps assez froid qui prive dans ce moment du seul plaisir que l’on trouve à la campagne, celui de courir les champs. Voilà le mauvais côté de la chose ; quant au bon côté, c’est à vous à le voir, car il ne consiste que dans l’agrément que l’on peut trouver dans la société de ceux qui nous connaissent, en renonçant à presque tout le reste. J’ai dit.
Pourtant, à tout hasard je vous dirai encore qu’en vous embarquant dans la diligence pour Aix-la-Chapelle, et d’Aix-la-Chapelle à Furth, vous vous trouvez à une lieue de chez nous. Tout le monde vous en indiquera le chemin.

Dyck est connu dans la contrée
Du plus petit et du plus grand ;
Il y paraît dans le manuel
Des maisons les plus illustres
Le noble et dernier monument.
Ses tours, ses fossés, ses guérites,
De son antique revenant
Les histoires cent fois redites,
Tout y semble encore effrayant
Tout enfin sans cesse y rappelle
A des regards observateurs
Que les éternelles grandeurs
Sont une dérision éternelle ;
Que chaumières, châteaux, états
Finissent par les mêmes causes
Et qu’il n’est de stable ici-bas
Que l’instabilité des choses.

Salut et estimé sincère
Constance de S.


Salm-Dick-participants.png Une soirée chez la princesse Constance de Salm en 1806
gravure d'Ambroise Tardieu d'après un dessin d'Antoine Chazal,
tirée du tome deuxième des Œuvres complètes de madame la princesse Constance de Salm.
Au milieu deux femmes : Constance, frisée, et face à elle, sa fille. Clavier est le 13, Courier le 172

[1] Clémence Agathe Pipelet, née le 27 janvier 1790, avait épousé Louis Bernard baron de Francq le 18 février 1813 à Paris. La princesse eut-elle une prémonition ? Veuve depuis le début de décembre 1818, Clémence meurt assassinée au château de Dyck le 14 juin 1820. Sa mère tomba dans une profonde dépression et lui survécut 25 années.  Note1
[2] La présence de Courier en 1806 dans ce salon est fantaisiste. A cette époque, il sert en Italie.  Note2

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