Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec De Mme Marchand le 20 janvier 1811 [Sans mention] A M. et Mme Clavier, à Paris 28 janvier 1811 Suiv

Rome, 28 janvier 18111

Monsieur

A Leyde Leyde (Pays-Bas) à la fin du XVIIIe siècle
 
h ! la bonne lettre, cousine, que je reçois de vous et que vous employez bien cette fois votre jolie écriture. De tout mon cœur assurément je vous accuse la réception et vous remercie, non tant à cause des 1 200 francs ; j'en avais besoin à vrai dire, mais ce n'est pas par là que vous m'obligez le plus. Vous vous souvenez du pauvre cousin et vous le défendez contre la médisance, quoique d'ailleurs vous n'en ayez pas trop bonne opinion. C'est cela, voyez-vous, qui me touche le cœur. Je ne vous en saurais aucun gré si vous eussiez pris ma défense dans la pensée qu'on me faisait tort. J'aime bien mieux des preuves de votre amitié que de votre équité. Pour vous rendre la pareille, je voudrais trouver quelqu'un qui dît du mal de vous. Cela se pourra rencontrer ; vous avez aussi des parents. Messieurs et Mesdames, leur dirai-je, je demeure d'accord avec vous que notre cousine… sans doute… tout ce qu'il vous plaira... Car il ne me viendra jamais à l'esprit que ces bons parents puissent ne pas vous rendre une justice exacte en disant de vous pis que pendre. Mais comme je l'aime, ajouterai-je, je soutiens qu'elle n'a point tant de torts. N'est-ce pas comme cela, cousine, que vous plaidez ma cause aux assemblées de famille ?
Ce que vous dites pour justifier vos éternelles grossesses prouve seulement que vous en avez honte. Si ce sont-là toutes vos raisons, franchement elles ne valent rien. Car enfin, qui diantre vous pousse... et puis ne pourriez-vous pas... allons, cousine, n'en parlons plus. Ce qui est fait est fait. Je vous pardonne vos cinq enfants. Mais pour Dieu, tenez-vous-en là et soyez d'une taille raisonnable quand nous nous reverrons à Paris. Vous me décidez à y aller et ce projet entre une douzaine d'autres est maintenant mon rêve favori. Je me trouvais bien ici ; on m'appelait à Venise ; j'ai quelque affaire à Naples ; mais je vais à Paris, puisque vous y serez dans la saison des violettes. Voilà de mon langage pastoral. Que voulez-vous ? je suis monté sur ce ton-là. Il ne me manque qu'un flageolet et des rubans à mon chapeau.
C'était à quinze ans qu'il fallait lire Daphnis et Chloé. Que ne vous connaissais-je alors ! Mes lumières se joignant à votre pénétration naturelle, ce livre aurait eu, je crois, peu d'endroits obscurs pour vous. Mais après cinq enfants faits, que peut vous apprendre un pareil ouvrage ? Aussi l'exemplaire que je vous destine c'est pour l'éducation de vos filles. En vérité il n'y a point de meilleure lecture pour les jeunes demoiselles qui ne veulent pas être en se mariant, de grandes ignorantes et je m'attends qu'on en fera quelque jolie édition à l'usage des élèves de madame Campan.
Dieu permettra, je l'espère, que je me trouve à Paris quand vous y serez, cousine, mais s'il en allait autrement, sachez que parmi mes projets il y en a un, et ce n'est pas celui auquel je tiens le moins, de me rendre à Leyde cette année en passant par Lille. Je vous reverrai alors avec tous vos marmots ; ils doivent être grands, ne vous déplaise, non pas tous ; mais enfin le général Braillard[2] (vous souvient-il de cette folie ?) doit avoir bien près de dix ans. Ce serait quelque chose si c'était une fille. Vous avez fini justement par où il fallait commencer. Quand je dis fini, c'est que je suis loin et ne sais guère de vos nouvelles car peut-être en lisant ce mot, aurez-vous sujet d'en rire. Grosse ou non, je vous embrasse, vous et eux, j'entends la marmaille et M. Pigalle.


[1] Sautelet précise « A Mme Pigalle », Rome le 30 janvier.  Note1
[2] Il s’agit de l’aîné des enfants Pigalle qui tient certainement ce surnom de Courier.  Note2

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