Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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prec Au Général Dulauloy - 1806 [sans mention] Sans mention de Scigliano - août 1806 Suiv

Cassano le … août 18061

Clavel Général Pierre Clavel (1773-1843) S i Maisonneuve2 t'a remis ma lettre de Matera, tu sais comment je suis venu ici.
J'ai rejoint Reynier. Enfin nous l'avons retrouvé avec les débris de sa grandeur, les M…, les D..., les S…3 (Clavel est tué, je te l'ai marqué4), tous en piteux équipage et de fort mauvaise humeur, eux du moins, car pour lui, le voilà raisonnable, abordable. On lui parle  il écoute à présent, et de tous c'est lui qui fait meilleure contenance. Il renonce de bonne grâce à la vice-royauté. Mais eux après le rêve, ils ne sauraient souffrir d'être gros-Jean comme devant et ils s'en prennent à lui du bien qu'il n'a pu leur faire. Ceux qu'il produisait, qu'il poussait, lui jettent la première pierre. C'est un homme faible, irrésolu, tête étroite, courte vue5. Il devait faire ceci et ne pas faire cela. Chacun après le dé, vous montre. S'il n'eût pas attaqué il n'y aurait qu'un cri, et les grands brailleurs seraient ceux qui ont fui l’ennemi. Lebrun dirait quoi  voir les Anglais et ne pas tomber sur eux  Maintenant, ce n'était pas son avis.
Sotte chose en vérité, pour un homme qui commande, d'avoir sur les épaules un aide de camp de l'empereur, un Monsieur de la cour qui vous arrive en poste habillé par Watter6 et portant dans sa poche le génie de l'empereur. Reynier s'est trouvé là comme moi à Tarente, avec un surveillant chargé de rendre compte. La bataille gagnée c'eût été l'empereur, le génie, la pensée, les ordres de là-haut. Mais la voilà perdue, c'est notre faute à nous. La troupe dorée dit  l'empereur n'était pas là, et comment se fait-il que l'empereur ne puisse former un général 
L'aventure est fâcheuse pour le pauvre Reynier. Nulle part on ne se bat  les regards sont sur nous. Avec nos bonnes troupes et à forces égales, être défaits, détruits en si peu de minutes  cela ne s'est point vu depuis la Révolution.
Reynier a tâché de se faire tuer et il court encore comme un fou partout où il y a des coups à attraper. Je l'approuverais s'il ne m'emmenait. Moi je n'ai pas perdu de bataille. Je ne voulais point être vice-roi, et tout nu que me voilà, je me trouve bien au monde. Les fidèles nous laissent aller et survivent très volontiers à leurs espérances. Que les temps sont changés depuis Monteleone, en quinze jours  Au lieu de cette foule, de ce cortège, c'est à qui se dispensera de l'accompagner. Il n'y va plus que ceux qui ne peuvent l'éviter. Je les trouve de bon sens et je ferais comme eux. Je le pourrais, je le devrais et je le veux même quelquefois quand je me rappelle sa cour et ses airs. Mais dans le malheur il est bonhomme, nos humeurs se conviennent au fond. L'ancienne belle passion se rallume et joint le malheureux Sosie au malheureux Amphitryon7. Bien entendu qu'au moindre vent qui le gonflerait encore, nous ferions bande à part comme la première fois. Ne me trouves-tu pas habile  Si je m'attache aux gens, c'est seulement tant qu'ils sont brouillés avec la fortune. Le résultat de tout c’est c'est qu'il perd et son ancienne réputation qu'on n'avait pu lui ôter, et un crédit naissant dans ce nouveau tripot. Il revenait sur l'eau et le voilà noyé.
Morel8 a une blessure de plus, qu'il ne donnerait pas pour beaucoup, c'est une balle au-dessus du genou. Il admire son bonheur. En effet, la croix, s'il l'obtient, aurait pu lui coûter plus cher, et c'est bon marché, certes, quand on n'a pas d'aïeux.
M. de Colbert Baron Auguste François-Marie
de Colbert-Chabanais (1777-1809)
Masséna et les nobles et tous les gens bien nés sont à six milles d'ici, à Castrovillari…
M. de C…9 aussi est là qui trouve dur de suivre le quartier général sans sa voiture bombée. Il a bien fallu la laisser à Lagonegro et faire trois journées à cheval. Il prétend pour tant de fatigues et de périls qu'on le fasse officier de la Légion, et je trouve sa prétention bien modérée pour un homme qui s'appelle M. de C…
Le trait de ton D…10 est bon  je le savais déjà. Tu crois que le scandale de l'affaire lui pourra nuire  Ah  s'il a soin des fusils de chasse et qu'il conte toujours de petites histoires, c'est bien cela qui l'empêchera d’être un gros seigneur par un voulons et nous plaît11. Au fait, ces choses-là ne font nul tort pourvu qu'on serve bien, d'ailleurs dans l'antichambre, surtout quand on a l'avantage d'être connu pour un sot. Alors on peut prétendre à tout. Je te conseille de lui faire ta cour. J'ai reçu ta lettre du 2 comme tu vois. Cela est trop drôle  Voilà de ces choses qu’on ne peut savoir à moins d'être du métier. En lisant la gazette, personne n'imagine qu'à travers tant de guerres on puisse parvenir aux premiers emplois de l'armée sans être en rien homme de guerre. Ma foi, quant au reste du monde, je ne t'en saurais que dire  mais j'ai vu deux classes dans ma vie  j'ai connu gens de lettres, gens de sabre et d'épée. Non, la postérité ne se doutera jamais combien, dans ce siècle de lumières et de batailles, il y eut de savants qui ne savaient pas lire et de braves qui faisaient dans leurs chausses  Combien de Laridons12 passent pour des Césars, sans parler de C… B…13
Nous partons demain pour Cosenza, où nous devons joindre Masséna. Nous ne faisons rien, comme vous dites, de petits pillages dans des villages.
Adieu  tu peux m'écrire maintenant par la poste, si poste il y a.
Nous avons trois F…14, dont deux généraux  l’un est un petit bancal plein de feu, intrépide, donnant tête baissée partout. L'autre est un ci-devant procureur à Bastia et né pour toujours l'être. A dire vrai, il l'est toujours, et n'a guère changé que d'habit. Adieu. Ce long volume te prouve combien nous sommes peu occupés.


[1] Sautelet indique 12 août 1806.  Note1
[2] Aide de camp du général Verdier qu’il accompagna ultérieurement en Espagne.  Note2
[3] Milet, Delphin et Sénécal.  Note3
[4] Il n’était que blessé.  Note4
[5] JUGEMENT DE NAPOLEON.  Note5
[6] Tailleur installé rue de Richelieu.  Note6
[7] Deux vers tirés de l’Amphytrion de Molière, acte III, scène 6.  Note7
[8] Peut-être un adjudant.  Note8
[9] Sautelet précise M. de Colbert.  Note9
[10] François, Louis Dedon (1762-1830). Membre de la Légion d’honneur, général de brigade en octobre 1805, mis à la retraite sous la seconde Restauration. Dans ses Mémoires, Griois écrit de lui  « Ses démêlés avec Courier l’ont rendu plus célèbre que ses faits de guerre… »  Note10
[11] Sautelet ajoute ceci  « II y a ici un colonel Grabinski qui a fait pis, s'il est possible, et qui n'en sera pas moins général avant peu, car c'est un bon serviteur, un homme qui sait ce qu'on doit à ses chefs, un homme... un homme enfin qui ira loin, je t'en réponds, sans risquer sa peau. »  Note11
[12] Nom donné par La Fontaine à un chien de piètre qualité dans la fable l’Education.  Note12
[13] Pour la censure, ne valait-il pas mieux que Courier n’indiquât pas la personne à laquelle il pense, en l’occurrence le général César Berthier, frère du maréchal.  Note13
[14] Sautelet écrit « Fransceschetti ».  Note14

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