Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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prec [Sans mention] - 29 juin 1807 [sans mention]1 A M. ***, officier d'artillerie - juillet 1807 Suiv

Naples, juillet 1807

Christophe Saliceti, Ministre de la PoliceChristophe Saliceti, Ministre de la Police (1757-1809) M onsieur, vous vous moquez de moi. Heureusement j'entends raillerie, et prends comme il faut vos douceurs. Ou si vous parlez tout de bon, sans doute l'amitié vous abuse. Il se peut que je sois capable2 de quelque chose ; mais cela n'est pas sûr, comme il l'est, que jusqu'à présent je n'ai rien fait.
Ce que je vous puis dire du marquis Rodio, c'est qu'ici sa mort passe pour un assassinat et pour une basse vengeance. On lui en voulait parce qu'étant ministre et favori de la reine, il parut contraire au mariage que l'on proposait d'un fils ou d'une fille de Naples avec quelqu'un de la famille. L'empereur a cette faiblesse de tous les parvenus, il s'expose à des refus. Il fut refusé là et ailleurs. Le pauvre Rodio depuis, pris dans un coin de la Calabre, à la tête de quelques insurgés3, quoiqu'il eût fait une bonne et franche et publique capitulation, fut pourtant arrêté, jugé par une commission militaire et, chose étonnante, acquitté. Il en écrivit la nouvelle à sa femme et à ses amis et se croyait hors d’embarras, quand l’empereur le fit reprendre et rejuger par les mêmes juges qui cette fois-là le condamnèrent. Général Jean Antoine VerdierGénéral Jean Antoine Verdier (1767-1839) Cela fit horreur à tout le monde, plus encore peut-être aux Français qu'aux Napolitains. On le fusilla par derrière, comme traître, félon, rebelle à son légitime souverain. Le trait vous paraît fort. J'en sais d'autres pareils. Quand le général Verdier commandait à Livourne, il eut l'ordre et l'exécuta, de faire arrêter deux négociants de la ville, dont l'un périt comme Rodio, l'autre l'échappa belle, s'étant sauvé de prison par le moyen de sa femme et d'un aide de camp. Le général fut en peine et fort réprimandé. Nous avons vu ici un courrier qui portait des lettres de la reine assassiné par ordre, ses dépêches enlevées, envoyées à Paris. Mais à Paris même vous pouvez avoir ou parler d’un résident ou secrétaire de je ne sais quelle diplomatie tué pour ses papiers dans sa chambre4. L’affaire fit du bruit.
Assurément, monsieur, ces choses-là ne sont pas du siècle où nous vivons ni de ce pays-ci. Tout cela s'est passé quelque part au Japon ou bien à Tombouctou et du temps de Cambyse. Je le dis avec vous, les mœurs sont adoucies ; Néron ne régnerait pas aujourd'hui. Cependant, quand on veut être maître… pour la fin le moyen. Maître et bon, maître et juste, ces mots s'accordent-ils ? Oui, grammaticalement, comme honnête larron, équitable brigand.
Nous sommes fort tranquilles. Je passe ici mes jours, ces jours longs et brûlants, dans la bibliothèque du marquis Taccone, à traduire pour vous Xénophon, non sans peine ; le texte est gâté. Ce marquis vaut de l’or. C’est la perle des hommes, il a tous les livres possibles, j'entends tous ceux que vous et moi saurions désirer. J'en dispose. Entre nous, quand je serai parti, je ne sais trop qui les lira. Lui ne lit point. Je ne pense pas qu'il en ait jamais ouvert un de sa vie. Ainsi en usait Salomon avec ses sept ou huit cents femmes. Les aimant pour la vue, il n'y touchait jamais, sage en cela surtout. Peut-être aussi, comme Taccone, les prêtait-il à ses amis.
Mais cette paix ne sera pas longue. Tout tient au caprice de deux ou trois bipèdes sans plumes qui se jouent de l'espèce humaine. Ce que je deviendrai, je le sais aussi peu que vous, Monsieur. J'ai cent projets et je n'en ai pas un. Je veux rester ici dans cette bibliothèque. Je veux aller en Grèce. Je veux quitter mon métier. Je le veux continuer pour avoir des mémoires que j'emploierai quelque jour. Voilà une partie de mes idées.
Présentez, je vous prie, mon respect à Madame de Sainte-Croix, et me conservez une place dans votre souvenir.


[1] Sautelet indique : « A M. de Sainte-Croix ».  Note1
[2] Sautelet imprime « coupable » en laissant entendre que « capable » conviendrait mieux.  Note2
[3] Il fut arrêté peu après le 9 mars 1806, date de la bataille de Campo Tenese remportée par le général Reynier.  Note3
[4] Chez Sautelet, cette phrase est remplacée par : « L'homme qui fit ce coup, ou l'ordonna du moins, je le vois tous les jours. Mais quoi ! à Paris même, pour avoir des papiers, n'a-t-on pas tué chez lui un envoyé ou secrétaire de je ne sais quelle diplomatie ? »  Note4

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