Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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prec A M. et Mme Clavier, à Paris 28 janvier 1811 [Sans mention][1] A la comtesse de Salm-Dyck d'Albano le 29 avril 1811 Suiv

[Après le 28 mars 1811]


J Elisa_Bonaparte Elisa Bonaparte entourée d'artistes à Florence
Oeuvre de Pietro Benvenuti (1769-1844)
A l'extrême gauche, le sculpteur Antonio Santarelli présente à
Tommaso Puccini (de profil) un médaillon d’Elisa qu’il vient d’exécuter.

« Elisa, Grande-duchesse de Toscane et patronne des arts », Histoire par l'image 
e ne saurais vous dire, Monsieur, combien vous me rendez aise par l'approbation que vous donnez à mon apologie[1]. Il vous semble donc que j'ai dit à peu près ce qu'il fallait ? Tout le monde n'en a pas jugé de même. M. Clavier pense comme vous, et m'assure que j'ai bien fait d'appeler un chat un chat, mais M. de Sacy ne peut me le pardonner et je vois bien, quoiqu'il en dise, que ma justification n'est à ses yeux qu'un crime de plus. Ici, en général, on est de cet avis, et tous ceux qui me condamnaient auparavant sur mon silence, depuis que j'ai ouvert la bouche, me veulent écorcher vif. Je vous parle de gens que je vois tous les jours, de connaissances de vingt ans ; pensez ce que disent les autres. Les plus modérés trouvent que je puis avoir au fond quelqu’espèce de raison, qu'à la rigueur je n'étais point tenu de me laisser opprimer par humilité chrétienne sans faire entendre aucune plainte. Mais, selon eux, au lieu de dire vous mentez, à mes calomniateurs, je devais dire : Messieurs, j'ose vous supplier de vouloir bien considérer que ce que disent Vos Seigneuries dans le dessein de me faire pendre, paraît s'écarter tant soit peu de la vérité. Voilà comme il fallait parler pour ne point choquer les honnêtes gens. Car on est sévère aujourd'hui sur les bienséances, et notez ceci, je vous prie. Deux articles paraissent contre moi et Renouard dans la Gazette de Milan, remplis d'injures et d'impostures. Qui que ce soit n'y trouve à redire. M. Furia imprime que je lui ai volé, ce sont ses propres termes, ses papiers et sa découverte, action atroce, ajoute-t-il, qui a fait frémir d'horreur toute la ville de Florence. Ce petit mensonge, exprimé avec tant de délicatesse, ne scandalise personne. Moi je dis qu'il ne sait pas le grec ; ah! cela est trop fort. Je m'amuse à le peindre au naturel et il se trouve que c'est un sot. Ah ! de tels emportements ne se peuvent excuser.
Le seigneur Puzzini[3] que je ne connais point, se met dans la tête de me faire un mauvais parti. Il ameute sa clique, me dénonce au ministre, arme l'autorité pour me persécuter, parce que je suis Français, et qu'il me croit sans appui ; cela est tout simple. J'insinue doucement qu'un petit chambellan qui vit de ses bassesses dans une petite cour, haïssant les Français qu'il flatte pour avoir du pain, n'est pas un personnage à respecter beaucoup hors de son antichambre : voilà qui crie vengeance.
Pour moi, ces choses-là ne m'apprennent plus rien ; ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai lieu d'admirer la haute impertinence des jugements humains. Ma philosophie là-dessus est toute d'expérience. Il y a peu de gens, mais bien peu, dont je recherche le suffrage ; encore m'en passerais-je au besoin.
La suite prouvera si j'ai bien ou mal fait. Qu'on me laisse en repos, c'est tout ce que je désire, et, si la cour me blâme, je prendrai patience, comme le cocher de fiacre. Gardez-vous bien de croire que j'aie voulu répondre aux sottises des gazettes. Je les ai laissées dix mois entiers me huer, m'aboyer sans seulement y faire attention. J'ai laissé confisquer sans souffler, sans mot dire, les bagatelles que j'imprimais pour quelques savants. Mais quand j'ai vu qu'après mes livres on allait saisir ma personne, que le maire de Florence avait ordre d'instruire mon procès, qu'il fallait une victime à la haine nationale, et qu'on me livrait aux Italiens, me voyant enfin la corde au cou, j'ai dit comme j'ai pu ce que j'avais à dire pour qu'on me laissât aller.
L'ouvrage de M. Clavier[4] nous est parvenu ici . Je ne l'ai point lu encore ; mais d'autres l'ont lu, qui connaissent mieux que moi ces matières. On le trouve fort savant. Quant à moi, ôtez-vous de l'esprit que je songe à faire jamais rien. Je crois, pour vous dire ma pensée, que ni moi ni autre aujourd'hui ne saurait faire œuvre qui dure. Non qu'il n'y ait assurément d'excellents esprits, mais les grands sujets qui pourraient intéresser le public et animer un écrivain, lui sont interdits. Il n'est pas même sûr que le public s'intéresse à rien. Au vrai je vois que la grande affaire de ce siècle-ci, c'est le débotté et le petit coucher. L'éloquence vit de passions, et quelles passions voulez-vous qu'il y ait chez un peuple de courtisans, dont la devise est nécessairement, sans humeur et sans honneur[5] ? Contentons-nous, Monsieur, de lire et d'admirer les anciens du bon temps. Essayons au plus quelquefois d'en tracer de faibles copies. Si ce n'est rien pour la gloire, c'est assez pour l'amusement. On ne se fait pas un nom par là mais on passe doucement la vie ; prions Dieu seulement que ces études si nécessaires à tous ceux qui en ont une fois goûté, ne fassent nul ombrage à la police.


[1] Sautelet indique « A M. Bosquillon, à Paris » et arrête la date du 10 novembre 1810. Cette date est discutable puisque dans cette missive Courier évoque les griefs formulés contre lui par Silvestre de Sacy dans sa lettre du 28 mars 1811. Raison pour laquelle nous retenons cette date charnière.  Note1
[2] La Lettre à M. Renouard.  Note2
[3] Puccini Tommaseo était chambellan d’Elisa Bonaparte-Baciocchi, devenue par la volonté de son impérial frère Granduchessa de Toscane le 2 mars 1809. Courier étrille ce personnage, et comment ! dans son Avertissement sur la lettre à M. Renouard. Puccini était également conservateur des établissements publics et des monuments des arts et des sciences et directeur de la Galerie de Florence.  Note3
[4] Il s’agit de Histoire des premiers temps de la Grèce, depuis Inachus jusqu’à la chute des Pisistratides.  Note4
[5] Expression chère à Courier que l’on trouve dans le tome 4 de L’Encyclopédie méthodique, Logique, métaphysique et morale publiée chez Panckoucke par Pierre-Louis de Lacretelle, 1791, à l’article « Éducation ». La citation complète est : « [A]pprenez qu'un bon courtisan doit être sans honneur et sans humeur ; l'honneur et la vertu ne sont point faits pour des esclaves destinés à recevoir toutes les impulsions de leur maître. » Ce mot est attribué à Philippe d’Orléans, Régent de France durant la minorité de Louis XV.  Note5

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