Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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et les lettres au Censeur

A près sa virulente attaque contre l’Académie le 23 mars 1819, Courier est en proie à de nombreuses vicissitudes dans sa vie de tous les jours à Véretz. Son engagement contre le pouvoir se radicalise. Proche de La Fayette, Marc-René de Voyer de Paulmy, quatrième marquis d’Argenson (1771-1842) résidait tantôt à Paris, tantôt dans son château des Ormes à la limite du Poitou et de la Touraine. Il pressa Courier de fournir des écrits au Censeur, journal qui contenait moins de vingt pages afin d’être soustrait à examen avant impression. La publication de ce journal d’inspiration libérale était irrégulière.
Le 14 juillet 1819, de Véretz, Courier écrivit cette lettre à d’Argenson1  :

Monsieur,
J’ai griffonné quelques lignes pour le Censeur, permettez que je vous les recommande. Ne sachant pas l’adresse précise de M. Comte, j’ai adressé cela à un de mes amis, M. le professeur Cousin qui je crois a l’honneur d’être connu de vous, il demeure rue du Cherche-Midi n°17. Je vous marque son adresse seulement afin que vous ayez la bonté de la donner à M. Comte et qu’il fasse demander ce griffonnage à M. Cousin, si par hasard celui-ci le gardait trop longtemps ce qui pourrait arriver au cas que ledit Cousin se trouvât à la campagne. Pardon Monsieur de la liberté que je prends mais je sais que vous vous intéressez au Censeur et à moi qui le mérite peut-être par les sentiments que vous m’inspirez, et qui augmentent chaque fois que vous montez à la tribune.
Ce que j’envoie au Censeur n’est que pour entrer en propos. J’ai d’autres choses à dire que je crois plus intéressantes, mais je crains de ne pas rencontrer le ton qui convient. Je ne connais point le public et le redoute beaucoup. Je vois des choses dans le Censeur qui me paraissent excellentes et qui sont tellement dans mon sens que si on eût voulu exprimer ma pensée on ne pouvait dire autrement. Mais j’ai peur de ne pas toujours me rencontrer avec ces Messieurs et à la distance où je suis il est malaisé de placer son mot dans une conversation aussi vive que l’est maintenant celle des journaux avec le public. Voltaire qui avait quelqu’esprit, était souvent embarrassé à deviner auprès de son Lac ce qui pouvait convenir à Paris. Donnez-moi, Monsieur, je vous en prie, quelques avis, c’est à vous surtout que je veux plaire, et si vous êtes content à l’avenir de ce que je pourrai donner au Censeur, je vous assure que c’est le grand point pour moi.
Trouvez bon, s’il vous plaît, Monsieur, que j’assure ici Madame d’Argenson de mon très humble respect.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur,
Votre très humble et obéissant serviteur.

Courier

François Comte (1782-1837) qui, comme avocat, avait tiré en 1815 le général Exelmans d’un fort mauvais pas, fut l’un des deux directeurs du Censeur, l’autre étant Charles Dunoyer (1786-1862). Inquiétés pour leurs opinions sous l’empire dont ils n’admettaient pas l’autoritarisme, tous deux furent ensuite la cible de la monarchie restaurée. En 1817, Comte purgea un an de prison et dut payer trois mille francs d’amende. Dunoyer fut plusieurs fois emprisonné et soumis à amendes. En 1819, ce périodique prit le nom de Censeur Européen et devint quotidien.
De Paris, le 17 juillet 1819, Comte répondit à Courier.

Monsieur,
Je vous remercie beaucoup du petit article que vous avez bien voulu nous envoyer. M. Cousin nous l’a remis hier, et vous le lirez dans notre feuille d’aujourd’hui. C’est une bonne fortune pour nous et pour le public : nous ne pouvons que désirer qu’elle se renouvelle. Il est des choses qui veulent être vues de près ; mais il en est aussi qui veulent être vues de loin. Pour bien apprécier une mesure de gouvernement, il faut voir l’effet qu’elle produit au loin. On est beaucoup trop habitué à voir la France dans Paris : ici nous ignorons ce que c’est qu’un maire, un préfet, un garde-champêtre. L’homme qui s’occupe le moins des affaires publiques, votre garde par exemple, en sait à cet égard plus que nous, au fond de ses bois. M. d’Argenson devait partir avant-hier ; cependant on m’a dit ce matin qu’il était encore ici. J’irai le voir, et, si je le trouve, je ne manquerai pas de me conformer à vos désirs.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.

F. Comte
Rue d’Enghien n°16, cour des Petites Écuries.

Cet échange de lettres et de politesses montre que les responsables du Censeur étaient ravis d’obtenir la collaboration d’une plume réputée comme celle de Courier. Celui-ci rédigea dix lettres d’inégale importance mais dont certaines peuvent être considérées comme étant les meilleurs parmi ses écrits de combat. La qualité de son écriture sur laquelle il resta toujours d’une exigence extrême montre le niveau de la presse de cette époque.
Cette collaboration dut cesser pour deux raisons : d’une part parce que l’assassinat du duc de Berry servit de prétexte aux ultras pour museler la presse d’opposition, et sur ce plan, la lettre IX, inspirée de Voltaire est lumineuse, de l’autre, parce que Courier ne mâchait pas ses mots et exposait le journal à d’éventuelles poursuites. Le Censeur dut d’ailleurs se saborder et Comte fut condamné en 1821 à deux mois de prison et deux mille francs d’amende. Il se réfugia en Suisse pour se soustraire à cette sentence. Dunoyer fit carrière sous la Monarchie de juillet mais abandonna toute activité politique après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.

[1] Nous connaissons ces deux lettres grâce à Geneviève Viollet-le-Duc qui les a publiées chez A.-G. Nizet en 1986, dans le tome 3 de « Paul-Louis Courier, correspondance générale » (1815-1825) pp. 233 à 235.  Note1

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