Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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« À Messieurs du conseil de préfecture à Tours »?

Comprendre la seconde Lettre particulière.

L a dernière Lettre au Censeur, laquelle, rappelons-le, ne fut pas publiée par précaution des deux directeurs du journal, date du 10 avril 1820 (cinq ans jour pour jour avant l’assassinat de son auteur !). L’accueil de ses « articles » que sont ses Lettres au Censeur confirma Courier, si besoin était, de sa redoutable capacité à attirer de son côté les opposants de tout poil. S’arrêter en si bon chemin ne lui semble ni souhaitable ni possible. Faire machine arrière ou rester tranquille sous sa tente hors du champ de bataille est impensable pour l’ancien canonnier à cheval qui a compris, en dépit du mépris qu’il nourrissait pour lui, l’art de la tactique militaire.
Le pouvoir a peur. Aussi prend-il toute assurance pour se protéger. L’assassinat du duc de Berry lui a rendu les mains libres pour modifier les modalités d’élection des députés de façon à assurer la victoire du parti ministériel. La loi électorale du 29 juin 1820 prévoit que, dans chaque département, se côtoient un collège électoral de département et des collèges électoraux d'arrondissement. En son article 2, elle stipule avec cette merveilleuse langue qui fait le charme de l’administration française que « Les collèges de département sont composés des électeurs les plus imposés, en nombre égal au quart de la totalité des électeurs du département. Les collèges de département nomment 172 nouveaux députés (…) Ils procéderont à cette nomination pour la session de 1820. La nomination des 258 députés actuels est attribuée aux collèges d'arrondissements électoraux à former dans chaque département (…). Ces collèges nomment chacun un député. Ils sont composés de tous les électeurs ayant leur domicile politique dans l'une des 15 communes comprises dans la circonscription de chaque arrondissement électoral. Cette circonscription sera provisoirement déterminée, pour chaque département, sur l'avis du conseil général, par des ordonnances du roi, qui seront soumises à l'approbation législative dans la prochaine session. Le cinquième des députés actuels qui doit être renouvelé sera nommé par les collèges d'arrondissement… »
Cette loi dite du double vote d’une pureté de violette favorise la noblesse rurale censée disposer de respectables revenus donc une clientèle électorale naturellement favorable au régime. Pour voter, il faut donc être imposable et payer 1000 francs minimum de contributions directes. Pour prendre part au vote, l’électeur doit résider depuis au moins six mois en son domicile réel ou en son domicile de droit parmi les différentes communes où il paye l’impôt.
Ces deux conditions, payer l’impôt et résider dans le département - concernent Courier. Toutefois, le si activiste maire de Véretz et le préfet de Waters s’entendent comme larrons en foire pour hérisser son chemin de difficultés. Ainsi, lui refuse-t-on, sous de spécieux motifs de voter en Touraine. Le vigneron leur répond par requête adressée aux conseillers généraux qui entourent le préfet et démonte point par point l’argumentation qu’on lui oppose pour qu’il ne prenne pas part à l’élection à Tours. La mauvaise foi de l’administration est si flagrante qu’il obtiendra satisfaction sans difficultés. Ce sera la première et dernière fois que celle-ci lui accordera le respect d’un droit.
Il n’eut pas à le regretter et nous non plus. La consultation eut lieu à Tours le 14 novembre 1820 après que le ban et l’arrière ban des électeurs, fonctionnaires, notables eurent assisté à la messe du dimanche en la cathédrale de Tours…
Courier rapportera cette consultation avec une ironie sans bornes dans sa seconde Lettre particulière datée du 28 novembre qu’il conviendra de lire tout de suite après cette réclamation envoyée « A Messieurs du conseil de préfecture à Tours ».

Il faut reconnaître qu’il avait de quoi se réjouir de cette mascarade commencée sur les chapeaux de roue le 25 octobre. Ce jour-là, comme partout en France, pour annoncer clairement la couleur, le préfet d’Indre-et-Loire fait placarder à Tours et dans les chefs-lieux d’arrondissements une proclamation signée du roi, laquelle annonce bien la couleur :

« Français,
Les circonstances sont graves.
Regardez chez vous, autour de vous, tout vous dira vos dangers, vos besoins et vos devoirs. La liberté ne se conserve que par la sagesse et la loyauté. Écartez des nobles fonctions de députés les fauteurs de troubles, les artisans de discorde, les propagateurs d’ingénieuses défiances contre mon gouvernement, ma famille et moi ; et s’ils vous demandent pourquoi vous les repoussez, montrez leur cette France si accablée il y a cinq ans, si miraculeusement restaurée depuis, touchant enfin au moment de recevoir le prix de tant de sacrifices, de voir ses impôts diminués, toutes les charges publiques allégées ; dites-leur que ce n’est pas quand tout fleurit, tout prospère, tout grandit dans votre patrie que vous entendez mettre au hasard de leurs rêves insensés ou livrer à leurs desseins pervers vos arts, votre industrie, les moissons de vos champs, la vie de vos enfants, la paix de vos familles, une félicité enfin que tous les peuples de la terre envient… »
Avec ce type de littérature de pacotille, on est loin de l’avertissement lancé par Winston Churchill à ses compatriotes en mai 1940, dans des conditions, il est vrai, assez différentes : « Je n'ai rien d'autre à vous offrir que du sang, de la sueur et des larmes ».

Courier, lui, nous offre un plaisir de haute qualité dont avant lui furent surtout capables Pascal et Voltaire.

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