Paul-Louis Courier

Cronista, panflettista, polemista
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prec [Sans mention] de Livourne - 17 septembre 1808 [Sans mention] [Sans mention] de Livourne - 2 novembre 1808 Suiv

Livourne, le [1]


M Marianna Dionigi (1756-1826) Adamántios Koraïs (en français Adamance Coray ou Coraï)(1756-1826)
 
onsieur, nul présent ne pouvait me flatter plus que celui dont je me vois honoré, je ne sais si je dois dire par vous ou par Messieurs Zozimas[2], qui m'ont remis vos trois admirables volumes . De quelque part que me viennent ces livres, il faut assurément qu'on les ait faits pour moi. Tout de bon, monsieur, si votre projet eût été de me plaire et de faire une chose entièrement selon mes idées, vous n'auriez pu mieux rencontrer. Voilà justement ce que j'attendais de vous et de vous seul. Je souffrais trop à voir Isocrate, la plus nette perle du langage attique, entouré de latin d'Allemagne ou de Hollande. En usant vos notes, du moins je ne sors pas de la Grèce, et j'entre beaucoup mieux dans le sens de l'auteur qu'avec une glose latine ou vulgaire. Chaque langue .veut être expliquée par elle-même, parce que les mots ni les phrases ne se correspondent jamais d'une langue à une autre, et c'est la raison qui me fait dire que nous n'avons point de dictionnaire grec. Ce serait un beau travail ; mais qui osera l'entreprendre ? Il faudrait pour cela, ce qui ne se trouvera jamais, plusieurs hommes comme vous - et comme MM. Zozima. En vérité, ceci leur fait grand honneur, car ce n'est pas seulement leur nation qu'ils gratifient d'un don si précieux, mais, chez toute nation, tous ceux qui s'intéressent à la belle littérature. Ce qu'ils font pour encourager ces études dans leur pays n'est pas de ce siècle-ci. Soyons de bonne foi, les rois nuisent aux lettres en les protégeant ; leurs caresses étouffent les Muses. Il y a bien eu quelquefois de grands talents, malgré les pensions et les académies ; niais on a toujours vu de simples particuliers favoriser les arts avec plus de sagesse et de discernement que n'eût pu faire aucun prince ; et c'est de quoi ces messieurs donnent un nouvel exemple.
Courage donc, monsieur, suivez votre belle entreprise, et soyez persuadé que, même parmi nous, il se trouvera des gens qui vous applaudiront comme vous le méritez. Le nombre en sera petit, mais choisi. Vous aurez peu de lecteurs, mais vous en aurez toujours ; et comme ces modèles, que vous nous dévoilez, seront étudiés tant qu'il y aura des arts et du goût, votre nom, attaché à des monuments si célèbres, passera sûrement à la postérité.


[1] Sautelet indique « A M. Coraï, à Paris » et donne la date du 18 octobre 1808.
Né à Smyrne le 27 avril 1748, Adamántios Koraís, francisé en Coraï ou Coray, passa la plus grande partie de sa vie en Europe occidentale. A Amsterdam, il exerça la profession de commerçant de 1771 à 1778. Avec l’autorisation de ses parents restés à Smyrne, il arriva à Montpellier le 9 octobre 1782. Il y entreprit des études à la Faculté de médecine ; il obtint son doctorat en 1788. Il s’installa comme médecin à Paris, où il mourut le 6 avril 1833. Ses cendres furent transférées à Athènes.
Cet érudit et philologue voyagea beaucoup, entre autres à Leipzig, Vienne, Trieste, Venise. S’il ne prit pas part à la Révolution qui eut toutes ses sympathies au début et dont il dénoncera les excès, il en fut l’observateur direct. Il en fournit un remarquable récit, en langue grecque, dans cette chronique que sont ses Lettres au Protopsalte de Smyrne, Démétrios Lotos, sur les événements de la Révolution française (1782-1793). Ce Démétrios Lotos était l’un de ses amis, exerçant les fonctions de protopsalte c’est-à-dire premier chantre de l’église cathédrale grecque de Smyrne. Lotos sera disgracié par le patriarche de Smyrne pour mésentente d’ordre politico-religieuse.
Coraï s’apitoya sur l’infortune de Louis XVI et de sa royale famille comme le prouve l’extrait suivant d’une de ses lettres à Lotos :
Le 21 janvier, à neuf heures du matin, on l’a fait sortir de prison, on l’a conduit au lieu du supplice au milieu d’une grande multitude de soldats, tous en armes, et, vers les onze heures, le bourreau a coupé la tête du meilleur, du plus puissant et du plus infortuné des rois de l’Europe, Louis XVI. Il est resté jusqu’au dernier moment ferme et plein de courage, et il a reçu la mort avec la plus grande soumission aux décrets cachés de la Providence. A ce moment suprême, quelques minutes avant le coup fatal, lorsqu’on le fit monter sur le lieu du supplice, il tourna ses yeux de côté et d’autre, regarda le peuple qui l’entourait et voulut lui parler, mais on ne le lui permit pas. Ceux qui l’approchaient ont seulement entendu sortir de sa bouche : « Je pardonne de tout mon cœur à tous mes ennemis. »
Les Massacres de septembre le révulsèrent et il ne nourrit aucune sympathie pour Napoléon qu’il considéra comme le « despote des despotes »
Cet homme modéré contribua à introduire les Lumières dans la culture néo-hellénique et fut un initiateur majeur du philhellénisme en Occident. Sur la question de la langue grecque moderne, il se situa à mi-chemin entre parler populaire et tradition savante. Il écrivit sous divers pseudonymes.  Note1
[2] De nationalité grecque – ils étaient nés en Epire -, les cinq frères Zozimas ou Zosimas, Jean, Anastase, Michel, Zois et Nicolas Zosimas, étaient fixés en Russie, où ils avaient fait fortune. Ils avaient fait parvenir à Courier un exemplaire d’Isocrate publié par Coraï en 1807  Note2

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