Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec A la comtesse de Salm-Dyck le 20 juin 1810 [Sans mention] Sans mention de Tivoli le 12 septembre 1810 Suiv

Tivoli, le 12 septembre 1810[1]

A Jean Barthélemot de Sorbier Jean Barthélemot de Sorbier (1762 - 1827)
 
h ! mon cher ami, mes affaires sont bien plus mauvaises encore qu'on ne vous l'a dit. J'ai deux ministres à mes trousses, dont l'un veut me faire fusiller comme déserteur, l'autre veut que je sois pendu pour avoir volé du grec. Je réponds au premier : Monseigneur, je ne suis point soldat, ni par conséquent déserteur. - Au second : Monseigneur, je me fous du grec, et je n'en vole point. Mais ils me répliquent, l'un : Vous êtes soldat; car il y a un an vous vous enivrâtes dans l'île de Lobau, avec L... et tels garnements qui vous appelaient camarade2 ; ainsi vous serez fusillé. - L'autre : Vous serez pendu. Car vous avez sali une page de grec, pour faire pièce à quelques pédants qui ne savent ni le grec ni aucune langue. - Là-dessus je me lamente et je dis : Serais-je donc fusillé pour avoir bu un coup à la santé de l'empereur ? Faudra-t-il donc que je sois pendu pour un pâté d'encre ? Ce qu'on vous a conté de mes querelles avec cette pédantaille n'est pas loin de la vérité. Le ministre a pris parti pour eux3 ; c'est, je crois, celui de l'Intérieur; et dans les bureaux de Son Excellence, on me fait mon procès sans m'entendre. On m'expédiera sans me dire pourquoi, et le tout officiellement. L'autre Excellence de la Guerre, c'est-à-dire Gassendi, a écrit ci à Sorbier, voulant savoir, dit-il, si c'est moi qui fais ce grec dont parle la gazette ; que je suis à lui, et qu'il se propose de me faire arrêter par la gendarmerie. J'ai su cela de Vauxmoret4, car je n'ai point vu Sorbier et j'ignore ce qu'il a répondu. Au vrai je ne m'en soucie guère. Je me crois en toute manière hors de la portée de ces messieurs, quitte de leur protection et de leur persécution. Je ne me repens point d'avoir été à Vienne, quoique ce fût une folie. Mais cette folie m'a bien tourné. J'ai vu de près l'oripeau et les mamamouchis5; cela en valait la peine, et je ne les ai vus que le temps qu'il fallait pour m'en divertir et savoir ce que c'est. Vous avez raison de me croire heureux ; mais vous avez tort de vous croire à plaindre. Vous êtes esclave ; eh! et qui ne l'est pas ? Votre ami Voltaire a bien dit qu'heureux sont les esclaves inconnus à leur maître6. Ce bonheur-là vous est hoc7, et c'est là peut-être de quoi vous enragez. Allez, vous êtes fou de porter envie à qui que ce soit, à l'âge où vous êtes, fort et bien portant. Vous ne méritez pas les bontés que la nature a eues pour vous. Adieu. Vous m'avez fait grand plaisir de m'écrire, et j'en aurai toujours beaucoup à recevoir de vos nouvelles.


[1] Sautelet précise « A M.***, officier d’artillerie » ; le 12 septembre 1810.  Note1
[2] Sautelet écrit ici : « vous suiviez l'empereur à cheval. »  Note2
[3] Courier fait erreur ; c’est Joseph Marie, fils du grand Portalis qui le poursuivait de sa vindicte cependant que le supérieur de Portalis, le ministre de l’Intérieur, se montrait complaisant avec Courier  Note3
[4] Né le 17 mai 1764 à Paris, Charles Pierre Martin de Vauxmoret était à ce moment colonel-directeur de l’artillerie à Rome. Il est mort la 9 novembre 1843, à Tonnerre.  Note4
[5] Courier vise Napoléon et tous ses maréchaux et généraux.  Note5
[6] In L’orphelin de la Chine, acte I, scène 3.  Note6
[7] Par allusion à l’ancien jeu de cartes Hoc, expression qui signifie « Être assuré à quelqu'un. »  Note7

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