Paul-Louis Courier

Cronista, panflettista, polemista
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Paris, le 20 novembre 1812.


J Paris 1812 Paris en 1812 par Olivier Lavorel
 
e reçus à Rome, chère cousine, il y a six mois environ, une lettre de vous, et comme elle me fit grand plaisir j'y répondis sur-le-champ. Mais je gardai ma lettre afin de vous la porter moi-même. Car alors j'avais résolu de partir pour Paris, où je comptais vous trouver. Cependant il arriva que je ne partis point. Ainsi cette réponse est restée dans ma poche. Que voulez-vous ? l'homme propose et Dieu dispose. Vous qui deviez être ici au commencement d'avril, vous y venez à la fin de juillet, et vous y restez jusqu'au jour de mon arrivée. J’arrivai fort exactement deux heures après votre départ. Cela avait tout l'air d'une chose arrangée, comme si nous fussions convenus de nous éviter. J'entrais par une porte, et vous sortiez par l'autre. Ne demandez pas si j'enrageai. Ce fut le commence ment de mon guignon; rien ne m'a réussi depuis.
Tout à l'heure encore deux gendarmes me gardaient à vue jour et nuit ; le jour ils me couvaient des yeux, et la nuit, avec deux chandelles, ils m'éclairaient de près pour dormir, crainte qu'on ne m'enlevât par l’air. Je ne pouvais, sauf respect, faire mon grand tour sans l'assistance de ces deux messieurs. On vous aura conté cela. J'étais conjuré, j'avais entrepris de faire passer la couronne dans une autre branche. Si l'on m'eût coupé la tête pour crime d'État, c'eût été pour vous un grand lustre. Rien n'honore plus une famille, et tous mes parents auraient mis cela dans leurs papiers. Malheureusement on s'aperçut que j'étais un pauvre diable qui ne savait pas même qu'il y eût des conspirations, et on m'a laissé aller. Tout cela ne me serait point arrivé si je vous eusse vue cette année. Car un bonheur amène l'autre. Mais une fois en guignon, tout tombe sur un pauvre homme.
On dit que nous avons à Hasbourg, ou Hasbruck ou Hasbrock, une cousine d'environ seize ans, dont la figure et le caractère ne font point du tout de déshonneur à la famille, une fort belle personne, aussi sage que belle, et tout à fait aimable. Sur un pareil bruit, chère cousine, il y a dix ou douze ans, j'aurais été roder dans ce canton sans rien dire. Mais à présent je puis déclarer mon projet et annoncer que j'irai là tout exprès pour voir cette merveille. Car je ne puis croire ce qu'on en dit que je ne l'aie vue et touchée. Quand vous leur écrirez, parlez-leur de moi, je vous prie.
Je vois vos enfants les Dimanches chez Madame Marchand; ils sont jolis et dignes de vous. L'aîné surtout montre de l'esprit. Je ne laisse pas, tout diables qu'ils sont, de leur apprendre quelquefois des polissonneries de mon temps, inconnues dans ce siècle-ci, où tout dégénère. Alfred fera ce qu'il voudra. Mais je suis fâché qu'on les désole pour des études assommantes, et dont l'utilité après tout est douteuse.
Ne comptez-vous pas, dites-moi, vous ou votre mari, venir bientôt à Paris ? On le disait il n’y a pas si longtemps, marquez-moi ce qui en est. Si vous ne venez, je vais vous voir. Je pensais d'abord devoir attendre la belle saison; mais depuis, réfléchissant à l'incertitude de la vie, j'ai trouvé que c'était sottise de différer un plaisir, surtout quand on a comme moi quarante ans et des cheveux blancs. Rien n'est plus vrai. J'en ai beaucoup, et je les garde précieusement pour vous les faire voir. Que direz-vous à cela ? Car enfin, ou le proverbe ment, ou ma tête n'est pas celle d'un fou, comme il vous a plu de le dire, sans reproche, en bien des rencontres. Je veux vous demander là-dessus une petite explication au coin du feu, nous deux, si je m'y trouve comme j'espère, avec vous cet hiver.
Répondez-moi bien vite. Vos lettres sont charmantes. J’aime fort à en recevoir, quoiqu'il n'y paraisse guère. J'en regrette fort une que je devais trouver à Milan, et qui ne s’y trouva point, sans doute par le retard de mon voyage. Vous avez un style naturel et fort agréable. Pour moi, je griffonne tout le jour des choses ennuyeuses, et je n'en puis plus quand il s'agit de faire une lettre qui m'amuserait.
Je vous embrasse, chère cousine ; mille choses à M. Pigalle.


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