Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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prec A Sigismond Viollet-le-Duc De la comtesse de Salm-Dyck A la princesse de Salm-Dyck Suiv

Dyck le 3 septembre 1813.

J Bad Godesberg Château de Bad Godesberg
 
’ai trouvé, Monsieur, votre lettre à Aix le jour que je suis arrivée ; j’ai sans doute été fâchée d’apprendre que vous ne seriez pas des nôtres ; mais la sainte liberté sans laquelle rien n’est bon, et que je prends moi-même dès que je peux, pour que je l’ôte aux autres, la liberté donc, que par ce moyen nous conservons tous deux, me console de la résolution que vous avez prise. Je vois, d’ailleurs, que vous êtes très satisfait de cette existence actuelle, et c’est un avantage trop rare pour risquer de le perdre. Vous êtes ravi d’être à Paris, vous ne pouvez vous résoudre à le quitter, pourtant vous êtes à la campagne, vous projetez d’aller à Athènes, vous faites des choses que vous pensez que je ne pourrai deviner. Tout cela pêle-mêle est sans doute fort agréable ; mais moins encore que l’heureuse désinvolture d’esprit sans laquelle (si je vous connais bien) rien ne vous plairait, même dans ce qui vous plaît le plus. Jouissez donc à votre manière ; nous vous aimons trop pour ne pas en être ravis puisque vous nous avez renoués; mais ne vous flattez pas de me surprendre par ce que vous faites, comme vous le dites ; je vous assure que rien ne peut me surprendre de votre part, (en tout bien tout honneur) même, peut-être, de vous voir arriver tout à coup dans notre solitude.
Je pense que vous vous seriez amusé à Aix-la-Chapelle d’où nous arrivons ; il y avait un assez grand nombre d’étrangers dont plusieurs de Paris. On les voit, on les cherche même sans façon, par le besoin de n’être pas seul. Chacun parle de ses maux, de ses promenades, de ses projets du soir, du lendemain. Les environs de la ville sont beaux et curieux. D’Aix on va à Spa qui est plus curieux encore, et où il y a bien plus de liberté. Quelquefois on fait sa tournée en prenant le Rhin (en revenant à Aix et prenant par Cologne) et l’on va à d’autres eaux qui sont dans la plus belle plaine du monde, et sur une montagne qui se trouve en un lieu que l’on appelle Gaudenberg (je crois que j’écris mal ce nom). On retrouve à peu près son monde à toutes les eaux, et cela ne laisse pas que d’offrir quelque plaisir à ceux qui aiment cette vie errante et variée.
Quant à moi mes goûts sont différents ; il me faut une existence tranquille, égale, toujours la même ; je ne jouis du plaisir d’un jour que quand je suis sûre de le retrouver le lendemain. Je veux pouvoir travailler le matin, me promener avant dîner et rire le soir, et ce goût fortifié par 20 ans d’habitude m’empêche de bien jouir de tout ce qui s’en éloigne. Mais je sais pourtant me tirer d’affaire, même dans les situations qui me plaisent le moins, et je passe ici ma vie comme ailleurs, peut-être mieux. Car qui sait si nous avons raison de désirer autre chose que ce que nous avons ? Voilà j’espère de belle et bonne morale, mais qui arrivera sûrement mal à propos à travers les délices dont vous me parlez, aussi je me tais. Au moins sur ce point.
Vous me narguez en me disant que vous voyez Paris de votre fenêtre, et vous me défiez d’en faire autant de mon château ; certes, j’aurais tort de le tenter ; mais quand vous ajoutez que vous m’engagez à reconnaître l’avantage qu’il y a d’aller à pied, et non en voiture, pour arriver plus tôt, je ne suis plus du tout de votre avis ; vous auriez beau partir à la minute, je pourrais bien être encore arrivée avant vous (à distance égale s’entend) dans ce carrosse qui ne me plaît pas plus qu’à vous, mais dont on ne peut nier les avantages quand il s’agit de voyager. Personne n’aime autant que moi aller à pied, c’est mon plaisir et ma santé ; s’il ne dépendait que de moi, je n’irais jamais autrement, et mon opinion s’accorde en cela avec vos goûts…


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