Paul-Louis Courier

Cronista, panflettista, polemista
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Mercredi matin [28 avril 1814].

J Eustache Hyacinthe Langlois (1777-1837) Eustache Hyacinthe Langlois du Pont de l'Arche (1777-1837)
 
’ai bien des choses à te dire pour répondre à ton billet. D’abord cette tristesse, cette mélancolie, à ton âge, et dans un moment tel que celui-ci, cela ne paraît pas naturel. Puisque tu pleures il faut que tu ne sois pas contente. Il est vrai que toutes ces longueurs doivent te tourmenter, elles m’ennuient bien aussi, mais qu’y faire ? Il faudra bien enfin que ces maudits papiers arrivent et alors j’espère comme tu dis, que tu ne seras plus aussi triste. Mais c’est un grand malheur que ces retards qui nous livrent toi et moi à nos propres réflexions et à celles des autres. Car je ne doute pas qu’on ne t’en ait fait faire quelques-unes avant-hier au soir. Pour moi, je n’ai que les miennes qui suffisent pour me faire quelquefois bien du mal.
Tu me recommandes ton Hyacinthe1 et ton autre ami. Tu veux que j’aie pour eux de l’amitié. J’y ferai mon possible, je te le promets bien. Oui, je tâcherai d’aimer les amis de ma femme et des amis comme ceux-là ! Si je n’y puis parvenir, je souffrirai et me tairai. Car je ne veux te gêner en rien. Je ne serai point ton argus2. A Dieu ne plaise que mon amour fasse le tourment de ce que j’aime et que je joue jamais le rôle de ces tuteurs de comédie. Mais toi, tu me connais ; tu sais ma faiblesse, tu lis ma peine dans mes regards. Ménage-moi un peu par pitié, martyrise-moi le plus légèrement que tu pourras. Il est sûr que c’est une espèce de fatalité que les deux seuls amis auxquels tu paraisses tenir soient précisément deux jeunes gens d’une si brillante figure auxquels il ne manque rien pour plaire, et que ton mari3 se trouve justement… comment dirai-je ? ma foi, à peu près le contraire. Mais baste, n’en parlons plus. Ta sagesse me répond de tout. Cependant tout le monde dira que tu as su mieux choisir tes amis que ton mari, ou plutôt on s’imaginera que tu as choisi les premiers, mais non pas l’autre.
Je voulais t’en écrire bien plus long, mais on m’interrompt. Écris-moi je te prie. Tes billets font tout mon plaisir quand je ne suis pas près de toi.


[1] Rose ou plutôt Rosa [Monjiu] devint la maîtresse de Courier à Rome au début de 1811. Ils étaient très attachés l’un à l’autre puisque Courier, de retour en France en juillet 1812, envisage de le rejoindre à Paris. Il lui écrit en ce sens le 9 janvier 1813 et lui envoie de l’argent le 2 mars suivant pour le voyage. Il lui écrit à nouveau au début janvier 1814. Comment réagit-elle ? Nul ne sait.
Le 12 mai suivant, accompagnés de leurs familles et témoins, Courier et Herminie passent devant l’officier d’état-civil de la mairie du VIIe arrondissement de Paris puis reçoivent la bénédiction nuptiale en l’église Saint-Jean-Saint-François située 1 rue Charlot (IIIe). Dans les années 1970, cette église est devenue cathédrale du rite catholique arménien. Elle est connue sous le nom de Sainte-Croix-des-Arméniens. La famille Clavier habitait tout près.  Note1
[2] Argos (ou Argus) disposait de cent yeux, dont la moitié seulement se fermait quand il dormait. Il était doué d'une force prodigieuse qui lui avait permis de délivrer l'Arcadie d'un taureau sauvage.
Il fut chargé par Héra de surveiller Io que Zeus aimait mais transforma en génisse pour tromper sa déesse de femme Héra ne fut pas dupe ; elle chargea Argos de surveiller Io pour que Zeus ne s’unisse pas à elle.
Argos attacha Io à un olivier afin de mieux la surveiller.
Zeus le fit tuer par Hermès.
Héra sema les yeux du géant sur la vaste queue déployée du paon.  Note2
[3 ]Courier use de ce terme mais n’a encore pas épousé Herminie.  Note3

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