Paul-Louis Courier

Cronista, panflettista, polemista
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A Madame
Madame Courier
Poste restante
A Tours
Indre-et-Loire
Paris, le 3 janvier 1816.

O Pierre DAUNOU Pierre Claude François DAUNOU (1761-1840)
 
n m'a dit hier à la poste que je pourrais avoir aujourd'hui une place pour Tours dans le courrier de Nantes. Si cela est, je pars avec ou sans passeport, et j'arriverai avec cette lettre. Je vais ce matin aux passeports et j'espère en obtenir un. Sinon ma foi j'y renonce. On ne m'en demandera qu'à Blois1, et là, je suis assez connu depuis mon aventure pour qu'on me laisse aller cette fois. Si le courrier ne peut me prendre je partirai par la diligence.

A dix heures et demie (dans le petit cabinet, rue Plâtrière).

Je ne puis partir aujourd'hui quoiqu'il y ait une place au courrier; on me chicane sur mon passeport. Je croyais pouvoir partir sans cela, ou du moins en me servant du vieux ; mais il en faut un neuf. Je suis allé au bureau, île du Palais, où on les donne. Ils me renvoient à un commissaire de police qui demande des répondants. C'est le diable. J'enrage. Mais que veux-tu ?
La vente de notre coupe de bois doit se faire samedi chez Bidaut2. Je n'y serai pas, comme tu vois ; et je ne suis pas non plus décidé à vendre, mais je veux savoir à quel prix on les portera. Il faut que Bidaut les mette en vente. Tu seras présente et à la fin du feras remettre la vente à quinzaine en disant que le prix n’est pas assez haut. Il ne faut pas que Bidaut soit dans le secret ; laisse-le croire que tu veux vendre, sans lui dire à quel prix3. Je t’envoie ci-contre un billet pour lui ; il pourrait arriver que tous les marchands s’entendissent et qu’on ne poussât point les enchères ou même que personne n’y mît. Cela ne doit pas t’étonner. La même chose m’est arrivée pour mon bois de Luynes que je n’ai pas laissé de bien vendre. Si les marchands viennent te parler, tu leur demanderas 6000F ; tu verras ce qu’ils offriront ; tu pourras redire ensuite ta demande à 5500 ou même 5000. Mais il ne faut pas conclure et s’ils te prennent au mot, tu diras que toute réflexion faite, tu veux attendre mon retour. Le fait est que je veux ni ne puis vendre que je ne connaisse à peu près la valeur de cette coupe et cela n’est pas aisé. J’aurai peu de marchands aux enchères parce qu’ils sont pourvus la plupart, ayant acheté à la Toussaint, époque ordinaire de ces ventes. Il vaut mieux retarder jusqu’à l’année prochaine que de risquer d’être attrapé. Tâche seulement de les amuser pour voir ce qu’ils offriront ; mais garde-toi de rien conclure.
Je vais courir pour mon passeport et tâcher de partir promptement. Je n’ai point vu ta mère ni ton père ces deux jours-ci. Mais j’ai vu Zaza4 qui n’a point la clef de ton secrétaire. Si elle est perdue c’est ta faute5. De quoi t’avises-tu de confier quelque chose à Zaza ? Tu ne veux pas voir combien tu es indifférente à tous ces gens-là, qui n’ont dans la tête que le beau monde et les fêtes et les beaux jeunes élégants. Madame Montgolfier écrit à tout le monde et ne daigne pas te répondre. Je n’ai point été chez tes parents ces jours-ci afin qu’ils ne s’imaginassent pas que je leur rends des devoirs. J’ai rencontré ce matin ton père qui m’a demandé de mauvaise humeur pourquoi on ne me voyait plus ; ma réponse a été : je n’écris plus à Minette parce que je vais partir. Voulant lui faire entendre comme c’est la vérité que je n’allais chez lui le matin que pour t’écrire. Pour toi tu es une franche dupe et tu ne sais pas le mauvais rôle qu’on joue quand on prodigue son amitié à des gens qui ne s’en soucient point.
P.S. Fait voir à Bidaut ce que je te marque à la fin de ma lettre.


[1] Allusion à son arrestation à Blois le 26 octobre 1812 pour défaut de passeport, dans le cadre des suites de la tentative de coup d’État du général Malet.  Note1
[2] Bidaut, notaire établi à Tours.  Note2
[3] On pourrait s’étonner de toutes ces précautions. Néanmoins, elles sont justifiées : Courier a une expérience difficile de ses ventes de bois en forêt de Luynes.  Note3
[4] Sœur d’Herminie Courier.  Note4
[5] C’est évidemment de l’ironie, Herminie n’y est pour rien.  Note5

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