Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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prec A sa femme le 9 novembre 1816 A sa femme Introduction aux lettres de France et d'Italie (JP Lautman) Suiv

A Madame
Madame Courier
Rue des 4 Fils fils à vis la rue d'Orléans n°15
Au Marais
A Paris

Mardi matin 12 novembre 1816.

J Forêt de Larçay Forêt de Larçay
 

e suis allé dimanche à Luynes, j'ai dîné et couché chez les Labéraudière. Ils sont bien fâchés que tu ne sois pas venue. Il y avait chez eux deux émigrés rentrés habitants du voisinage, qui sont bien ce qu'on peut voir de plus drôle au monde. Deux figures à mettre aux Variétés. Ce ne sont que révérences, compliments, cérémonies et tout tellement caricature qu'il y a de quoi crever de rire. Nous en avons bien ri quand ils ont été partis. Bonnes gens au demeurant. De Luynes je suis venu avec Odoux chez le monsieur qui marchande notre Filonnière et qui je crois l'achètera. Mais c'est une affaire qui n'est pas prête à conclure. Nous avons dîné chez lui. C'est une maison charmante, à Saint-Cyr, sur le chemin de Luynes. Tu dois te rappeler cet endroit. Sur la colline à mi-côte on voit Tours et toute la Loire. Tu verras cela quelque jour. Ils ont grande envie de te voir; tu as une réputation dans le pays. Le soir je suis rentré à 7 heures comptant être encore à temps de prendre ta lettre à la poste ; mais le bureau était fermé. En rentrant j’ai appris que toute la journée il était venu des marchands de bois me demander. Je suis presque fâché d’avoir vendu.
Voici tes deux lettres de vendredi et samedi où tu me comptes ta soirée chez Mme Gail et bien d’autres choses qui m’ont fait grand plaisir. Il est vrai que nous sommes gueux ; cependant nous vivrons cette année si tu veux régler la dépense non à la fin, mais au commencement de chaque mois et te faire une loi de ne pas passer d’un écu ce que tu auras fixé d’avance. Ton projet de venir passer ici l'hiver ne peut s'exécuter. D'ailleurs il faut que j'imprime mon Ane cet hiver ; ce n'est point une chose indifférente. Quelque jour nous serons de l’Institut1. Cela nous aidera un peu. Enfin tout s'arrangera. Figure-toi que les propriétaires de terres sont toujours gueux, mais jamais ruinés. Je vais courir pour mes affaires, le temps est exécrable.
J’ai couru toute la matinée, chez Bidaut, chez le directeur du Domaine, chez le receveur M. Texier, chez M. Petit le marchand de bois. J’ai revu la petite Niobé. Je l’ai trouvé un peu pâle. Ces figures-là changent d’un jour à l’autre. Les petites Labéraudière m’ont paru fort changées, l’aînée surtout.
J’ai été encore ce matin chez M. Guérin, procureur, qui doit vendre ce bien que Bénard me devait faire acheter. Cela n’est point encore en vente et le sera dans peu. Je ne vois rien de mieux pour nous. Bidaut y aura l’œil et m’écrira quand il sera temps. Je retourne chez M. Petit avec qui je dois faire un voyage à Larçai pour avoir des coupes de l’année prochaine.
Je viens de chez M. Petit. Je dois aller après-demain avec lui à Larçai. J’espère que le temps changera.
Ne t’inquiète pas de ton petit mal de sein. Je suis convaincu que ce n’est rien. J’ai vu plusieurs femmes se plaindre de la même chose sans que cela eût jamais aucune suite fâcheuse.
On ne peut avoir d’argent et pourtant il en faut donner à tout le monde ; 660 fcs pour l’imposition de Larçai, 400 fcs au garde, 500 fcs pour 6 mois d’intérêts des 20 000 fcs. J’ai pour faire face à tout cela 1 000 fcs que je garde parce qu’il faut vivre. Tu ne seras vraiment économe que quand tu auras passé un an ou deux ici et que tu auras vu la peine à arracher un écu de ce qui vous est dû.
Je ne sais pas le nom de l’amoureux de la B., elle en a plus d’un. Elle croyait faire enrager son mari qui à la fin se moque d’elle. Pour lui il n’a jamais été si leste ni si aise. Il conte toute l’histoire à qui la veut entendre. Le mal est qu’il tient d’elle son état, sa fortune. On glose un peu là-dessus. Mais il est vrai aussi qu’il lui a passé bien des choses. Je ne le crois pas fort aimable mari ni fort aisé à vivre. La femme devait songer à ses enfants et penser que toutes les sottises qu’elle ferait retomberaient sur elle. Vivant mal avec lui, elle devait surtout faire en sorte que l’opinion publique fût pour elle. Et puis une vieille rosse ayant des enfants, s’aller mettre à faire la petite folle ! Elle disparaissait pendant cinq ou six jours et revenait quand bon lui semblait.

Mercredi matin.

J’ai passé la soirée hier au café Desnœuds à jouer aux échecs. Je ne sais si je n’irai point aujourd’hui à Luynes, en ce cas mon voyage avec M. Petit serait remis un autre jour.
Je reçois ta lettre de dimanche et lundi. Il est heureux pour moi que tu aimes à écrire car tes lettres me font grand plaisir. Ce monsieur qui épouse la vieille ne m'étonne point du tout. Il vient de mourir ici un homme que j’ai connu appelé M. Archambaut. Il n'avait point d'autre état que d'épouser de vieilles femmes et de les enterrer. Il est mort veuf de la troisième, et riche; car, comme il les traitait fort bien pendant leur vie, elles le récompensaient à leur mort2. J'avais prédit qu'il finirait par une fille de dix-huit ans qui l'enterrerait; mais je me suis trompé.
Il y a ici beaucoup d’Anglais qui ont fait hausser le prix des appartements. J’ai vu hier le fils de M. Koëlen, tu te rappelles le Hollandais qui demeurait chez Vaslin. Ils ont quitté cette maison et pris un autre appartement qui ne leur coûte que mille francs et qui est plus commode.
Je suis persuadé que le bas prix du bois n’est que momentané, et que d’ici à deux ans il reprendra toute sa valeur et sera même plus cher qu’auparavant. Ainsi ne nous repentons point de notre acquisition3. Il y a bien des terres de deux cent mille francs qui n’ont pas un revenu si net. J’ai appris une drôle de chose, c’est que les gens qui prétendaient que j’avais payé cela trop cher et qui dénigraient partout ma pauvre forêt, m’ont rendu un très grand service. Car ils sont cause que l’on a réduit mon imposition à 660 fcs au lieu de 1 100 francs qui avait été la première taxe. Maintenant on clabaude et l’on dit que nous devons payer 1 500 fcs. Le fait est que notre forêt produit net d’impôt et les frais de garde déduits, en calculant sur les coupes faites depuis 11 ans, 5 600 qui représentent un capital de 150 000 fcs.
Voici quelque chose de nouveau. Le colonel Métro, celui avec qui je jouais l’an passé aux échecs, me cherchait depuis plusieurs jours et vient enfin de me trouver. Il sort à l’instant de ma chambre ; il veut me vendre sa maison qui est comme tu sais extrêmement jolie, mais de peu de rapport. C’est à trois quarts de lieue de notre forêt. Il en paraît dégoûté et fort pressé de la vendre. Je le crois homme à faire souvent de mauvais marchés. Cette maison ne vaut que 20 ou 25 000 fcs, mais pour nous cela serait excellent. Au reste je n’en donnerai que ce qu’elle vaut. Il ne peut la vendre qu’à moi ou à quelqu’Anglais. Mais pour un Anglais elle serait trop loin de la ville. Enfin nous verrons. Je dois déjeuner demain chez lui en allant à Larçai.


[1] Cette hypothèse montre que le père d’Herminie devait insister auprès de Courier pour qu’il se présentât à l’Académie des belles-lettres et inscriptions.  Note1
[2] On tient là le thème du futur « M. Verdoux » de Chaplin, à cette différence près que M. Verdoux hâtait le « départ » de ses épouses.  Note2

trait

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