Paul-Louis Courier

Cronista, panflettista, polemista
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André BILLY, les écrivains de combat

André Billy (1882-1971)
André Billy (1882-1971)
E nfant naturel, et cette « tare » explique peut-être dans une certaine mesure son caractère et son humeur, il était né à Paris en 1772 et avait pour père un gentilhomme de campagne, avare et lettré, qui lui fit étudier les mathématiques. Il était en 1793 sous-lieutenant au 7e d'artillerie à Thionville, mais le tir au canon ne l'empêchait pas de continuer l'étude du grec et du latin. Capitaine en 1795, il abandonne sa batterie et se fait donner une mission d'inspection dans le Tarn. Puis il quitte son inspection comme il a quitté sa garnison, et se fait nommer chef d'état-major d'artillerie à Rennes. On l'affecte à l'armée d'Italie, il visite les musées et les bibliothèques et y trouve tellement de plaisir qu'il oublie son régiment et se laisse surprendre par les troupes napolitaines au musée du Vatican. On le libère et il rejoint le 7ème d'artillerie à Strasbourg où il se lie avec des savants et rédige un remarquable compte-rendu d'une nouvelle édition d'Athénée. Le voilà en permission de six mois à Véronique, au bord de la Loire, où son père a une terre et où le vieux gentilhomme a épousé sa maîtresse et reconnu son fils. Il y prolonge son congé et ne se décide qu'à regret à rejoindre son corps à Douai, après avoir mené à bien une traduction libre de l'éloge d'Hélène d'Isocrate. Chef d'escadron au 1er régiment d'artillerie à Plaisance, il y multiplie les incartades, allant jusqu'à monter sans étriers sous prétexte que les Grecs ne s'en servaient point. Mis aux arrêts de rigueur, il en profite pour traduire le traité d'équitation de Xénophon. Il guerroie en Calabre. On le nomme à Vérone mais il ne s'y présente qu'au bout de six mois, après de studieux séjours à Rome ou à Florence où il a découvert un texte inconnu de Longus. On l'affecte à Livourne, puis à Milan. Il demande un congé, on le lui refuse, il démissionne. En 1809, on ne sait quelle ardeur guerrière se réveille en lui. Il rejoint l'armée avant d'avoir reçu avis de sa réintégration, assiste à la bataille de Wagram, tombe malade, passe en Suisse, en Italie et, à Florence, révèle au bibliothécaire Del Furia sa découverte d'un passage inédit de Daphnis et Chloé. Ici se place l'anecdote de la tache d'encre faite par Paul-Louis sur le manuscrit pour empêcher Del Furia de lui ravir sa découverte. Fâché avec le bibliothécaire florentin, fâché avec le libraire parisien auquel il avait promis sa traduction, il se voit attaqué par eux et leur réplique en faisant imprimer à Rome sa Lettre à M. Renouard, libraire, sur une tache faite à un manuscrit de Florence. Ce sont ses débuts de pamphlétaire. Ils attirent l'attention et le colonel de son régiment croit reconnaître en lui certain chef d'escadron disparu à Wagram. Il prouve sa bonne foi et l'enquête est abandonnée. Il retourne en Italie, rédige à Naples, chez la comtesse d'Albany, l'Art de la guerre, conversation avec la comtesse d'Albany, revient à Rome, classe ses lettres, rentre en France et épouse la fille de son ami Clavier, de plus de vingt ans moins âgée que lui. L'aimait-il ? En tout cas, il ne tarde pas à la négliger et se remet en route à travers la France avant de se fixer à Larçay où il vivra désormais la vie de propriétaire rural qui a été celle de son père et qui a au moins l'avantage de lui laisser beaucoup de loisirs pour ses études helléniques. Il traduit la Luciade ou l'âne de Lucius de Patras… Tout à coup, un incident le jette dans la politique. C'est, en 1816, l'affaire François Fouquet. François Fouquet ayant injurié le curé de Luynes, le maire l'a fait brutalement arrêter, avec d'autres habitants. Courier prend feu et rédige sa Pétition aux deux Chambres. Autre affaire : Claude Bourgeau a coupé des arbres dans sa coupe. Aussitôt, lettre de Paul-Louis Courier, ancien chef d'escadron au 1er régiment d'artillerie à cheval, membre de la Légion d'honneur, à MM. les juges du tribunal civil à Tours. Paul-Louis perd son procès. La Chavonnière
La Chavonnière
Il a acheté la Chavonnière. Procès avec l'ancien propriétaire. Le maire refuse de poursuivre les paysans qui coupent ses arbres et poursuit au contraire son garde. Courier adresse un placet à Son Excellence Monseigneur le Ministre et rédige une lettre de Pierre Clavier, dit Blondeau (c'est le nom du garde) à MM. les juges de police correctionnelle de Blois. Le scandale est grand. Courier triomphe. Il pose sa candidature à l'Académie des Inscriptions qui ne veut pas de lui. Son dépit s'exhale dans une Lettre à MM. de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Le voici décidément pamphlétaire. Il envoie des Lettres au Censeur qui lui attirent la malveillance des autorités. Parce que son vrai domicile est à Paris, on refuse en 1820 de l'inscrire comme électeur dans la Touraine. Il s'en plaint à MM. du Conseil de Préfecture de Tours qui lui donnent gain de cause. Ses Lettres particulières sur les élections de Tours achèvent de lui attirer les inimitiés administratives…
Le 10 mars de l'année suivante, Courier est assassiné d'un coup de fusil dans la forêt de Larçay, par son garde, amant de sa femme, et à l'instigation de celle-ci.
Pourquoi Paul-Louis Courier est-il demeuré le type classique du pamphlétaire ? Pour deux raisons essentielles : ses idées et son style. Ses idées sont courtes, son individualisme est à faible portée, sa conception de l'Etat est proprement inexistante. Il est voltairien, il est libertaire et il ne veut pas être embêté, voilà tout ? C'est une position critique extrêmement commode, c'est la position idéale du pamphlétaire, la position naturelle de l'esprit français. Français, Courier l'était jusqu'à la moelle ; il l'était dans le meilleur sens, et il l'était aussi dans le moins bon. Soldat indiscipliné, propriétaire ombrageux, comme on reconnaît bien la race ! Homme du XVIIIe siècle a-t-on dit. Attention ! Courier n'aurait pas fait la Révolution et je crois qu'il eût été incapable de couper le cou à qui que ce fût, il manquait trop d'optimisme pour cela. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
Homme du XVIIIème, soit, mais de la première moitié plutôt que de la seconde, et d'instinct l'ennemi de Rousseau, c'est sûr. Homme du Tiers sans doute, mais aussi un peu hobereau, et d'ailleurs trop enfoncé dans l'antiquité grecque pour attacher la moindre importance à une réforme rationnelle de la société présente. Rien de constructif dans sa cervelle. Adversaire décidé de toute autorité, d'où qu'elle vienne, au fond Courier est anarchiste et comme tel, tient le milieu entre l'anarchiste petit bourgeois et l'anarchiste grand seigneur. Il plaît par son bon sens et par son impertinence. Il y a en lui quelque chose d'étroit et à la fois d'extravagant. Il rassure et il excite, et cette contradiction de son tempérament se fond dans beaucoup d'égoïsme et beaucoup d'esprit.
Mais plus encore que son humeur, son style a sauvé Courier de l'oubli, en le conservant, si l'on peut s'exprimer ainsi, dans la glace, et c'est bien, en effet, l'impression d'une survie un peu artificielle, analogue à la protection par le froid, que donnent ces pages étincelantes et figées. Grand écrivain ? Non, Paul-Louis n'est pas un grand écrivain, ou, si vous voulez, il n'est que grand écrivain de second ordre, mais c'est jouer sur les mots. Disons tout net qu'il a été un excellent et brillant écrivain classique dans un temps où le classicisme avait perdu sa vertu. La langue de Voltaire était défaite. L'ancien parler français, utilisé à toutes sortes de nouveaux besoins idéologiques et pratiques, était alourdi, boursouflé, méconnaissable. Artiste de tempérament et aristocrate de culture, Courier souffrait de l'emphase, héritée de la Révolution, et de la trivialité née de l'accession de la classe bourgeoise à tous les emplois, sous lesquelles s'effaçait l'algèbre délicate de l'ancienne prose. Il souffrait, il réagissait, il faisait effort pour résister à l'encanaillement et au pathos. On a dit que son écriture sentait l'huile ; c'est vrai. Courier n'est pas Voltaire, n'est pas Diderot, il n'est que leur élève. Dans quelque mesure, Courier est par rapport à Voltaire polémiste, poète tragique, ce que Voltaire est par rapport à Racine. Que manque-t-il à Courier ? Le cœur . Il est totalement dépourvu de cette générosité intellectuelle dont on sent Voltaire parfois si brûlant et qui fait bouillonner Diderot. Et quant à cet autre grand polémiste que fut l'auteur des Provinciales, on ne le nommera même pas ici.
Mais c'est assez chicaner. Comme épistolier, la place de Courier est au premier rang, et du polémiste, je répète qu'il est le type. Il a en quelque sorte incarné ce genre dont, au surplus, il ne faut pas se dissimuler qu'il est secondaire.

André BILLY, les écrivains de combat, les œuvres représentatives, p 18 à 24, 1931.


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