Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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  INTRODUCTION  Lettre à son père du 28 avril 1787 Suiv
AUX LETTRES ÉCRITES
DE FRANCE ET D’ITALIE

Le vent se lève

Longtemps contenue sous la chape de plomb de l’oppression religieuse et politique, l’éruption brutale et soudaine de 1789 et ce qui s’ensuivit produisit une déflagration sans précédent. La Révolution des « sans-culottes  » allume les mèches destinées à faire voler cette oppression en éclats. Galvanisée par de jeunes chefs audacieux qui n’avaient rien à perdre que la vie, les troupes se mettent au service d’un avenir perçu comme idyllique. La première fonction des armées est de sauver la patrie en danger. Sur ce plan, la canonnade de Valmy fournit une formidable réponse au manifeste du duc de Brunswick. L’exploitation à des fins de propagande de cette « victoire  » marque la maîtrise du pays en ébullition à populariser sa cause.
Seconde fonction des armées, exporter les idées révolutionnaires comme un feu se propage de champ en champ, de province à province, de pays à pays.
Tosca de Puccini
Tosca de Puccini
Très vite, ce rôle va inspirer toutes les actions de la république militaire. En brisant les chaînes des peuples encore sous le joug des vieilles monarchies, le nouveau pouvoir coupe les multiples têtes de cette hydre qu’est l’Ancien Régime et, simultanément, promet levée de l’aurore sur des temps nouveaux. C’est l’heure miraculeuse où nombre de pays voisins, en particulier les états de la future Italie, accueillent à bras ouverts les garnisons placées sous l’autorité de la République. Ceux qui s’intéressent au bel canto comprendront immédiatement ces considérations dont a tenu compte Giacomo Puccini avec Tosca, inspiré qu’il fut par la pièce éponyme de Victorien Sardou écrite en 1887 pour Sarah-Bernardt..
Attardons-nous quelques secondes sur cet opéra. L'action se déroule à Rome les derniers jours du printemps 1800. Une trentaine de mois auparavant, les troupes commandées par le général Berthier occupèrent Rome sans coup férir. (Dans la réalité, Courier en fut du début janvier à la fin septembre 1799.) Cinq jours plus tard, le 15 février 1798, fut instaurée la République romaine. Cesare Angelotti est l’un des consuls attachés au nouvel ordre politique exporté par la France. Dans le camp opposé, les partisans de Ferdinand IV, roi des Deux-Siciles. Son épouse Maria Caroline voue une haine inextinguible à la France pour avoir fait périr sur l’échafaud sa jeune sœur Marie-Antoinette. Sous les ordres du général Garnier, les Français quittent la ville éternelle fin septembre 1799. L’abominable baron Vitello Scarpia organise la police secrète afin de pourchasser tous les partisans de la Révolution. L’opéra débute par cette scène : avec la complicité du peintre Mario Cavaradossi, amant de Tosca, Angelloti se cache dans la chapelle d’une église que ce dernier décore. Scarpia convoite Tosca et survient dans l’église avec des comparses à ses ordres. En arrière-plan, la bataille de Marengo remportée le 14 juin 1800 par la France sur l’Autriche accélère le drame… Mais revenons à Courier.
La période faste durant laquelle souffle un vent nouveau sur l’Europe est de courte durée. En effet, il y a loin des intentions aux actes ; conjuguées aux menaces des empires fidèles à l’ordre ancien, les luttes et rivalités internes du pouvoir neuf qui prétend administrer la France détruisent l’idéal révolutionnaire. De plus, pour mettre fin au dangereux désordre intérieur et exclure tout retour en force des forces fidèles à la dynastie des Bourbons, la patrie se donne pour maître un jeune général corse brillant et dévoré d’ambition.

Le vent retombe

Bataille de Rivoli
Napoléon Bonaparte arrive à Plaisance
le 9 mai 1804. L'arrivée inattendue de Masséna
le 14 mai lui permet de remporter la victoire
C ourier se fait lui-même l’écho de cette ambition qui allait si lourdement peser sur le destin national. Il la juge, pour reprendre l’excellente expression d’Armand Carrel, comme « un égarement de vanité  ». Un matin de mai 1804, alors qu’il servait comme chef d’escadron dans le 1er régiment d’artillerie à cheval à Plaisance, Courier et ses collègues officiers sont convoqués par leur chef, le colonel d’Anthouard. Ce dernier veut les consulter sur l’éventualité de conférer au premier consul la dignité impériale. Courier s’y exprime avec une désinvolture qui témoigne de son désintérêt pour tout ce qui est politique et, de ce fait, subalterne. On trouvera bien évidemment cette lettre dans celles que nous avons retenues ici : Nous venons de faire un Empereur et pour ma part je n’y ai pas nui…
Dès le Directoire, les armées révolutionnaires puis impériales étouffent les illusions ; d’émancipatrices, elles se métamorphosent en troupes d’occupation, pillent les richesses des pays « libérés  ». A partir du Consulat, elles enrichissent Bonaparte, sa famille et constituent le vivier d’où sortira la nouvelle noblesse haïe de l’ancienne. Affligeant effondrement des espérances des uns cependant que les autres entrevoient de tenir un rôle qui leur eût été interdit sous l’Ancien régime. Courier assiste à toutes ces convulsions ; il garde la tête froide et les idées claires. Il a compris ce pitoyable théâtre animé par les officiers engagés dans les rivalités de garnison ou d’alcôve, dont certains, au feu, se montrent capables des pires lâchetés.
Revêtu de l’habit militaire de 1792 à 1809, Courier assiste, sans complaisance mais avec impartialité, au vivant spectacle des vices mais aussi des vertus. Il s’en fait l’écho auprès des siens, parents et amis, dans de minutieuses missives écrites à chaud car la mort veille cependant qu’il se félicite d’être encore vivant. Il « s’abandonne à la fortune  » - ainsi qu’il le dit dans la lettre à son ami Dalayrac du 24 mars 1805 -, décrit, raconte, se moque, enrage, s’emporte, éructe, ironise, rit à gorge déployée… En se comportant ainsi, au mépris de la censure militaire et politique – et ceci peut expliquer qu’il ait culminé au poste de capitaine - il se flatte de s’inspirer du précédent prestigieux, excusez du peu, que constitue un certain… Homère ! S’il en sort vivant, son intention est de sélectionner cent parmi ces lettres pour donner naissance à un ouvrage qu’il baptiserait Recueil des Cent Lettres ou RCL. S’étant arraché aux affres de la tache d’encre et de ses conséquences, il y pense en 1812 et, de Rome, rédige ce court billet :

Si quelqu’un voit ceci, on s’étonnera que j’aie voulu conserver de pareilles misères. Mais le fait est que ces chiffons, qui ne signifient rien pour tout autre me rappellent à moi mille souvenirs, et qu’ayant déjà passé la meilleure et la plus belle moitié de ma vie, je me plais désormais à regarder en arrière. J’ai regret seulement que cette idée me soit venue si tard, et plût à Dieu que j’eusse de semblables mémoires de mes premières années.

Ce projet sera différé. Il y songe de nouveau en 1824 et procède à la Chavonnière à la sélection de cent-vingt neuf lettres. Elles parurent seulement après sa mort, pour la première fois en 1828, formant de ce fait le premier volume de l’édition des Mémoires, correspondance et opuscules inédits de Paul-Louis Courier, en deux volumes in 8°, Paris, A. Sautelet et Cie. Ces lettres sont accompagnées de notes intercalées entre les missives reproduites. Longtemps, on attribua ce commentaire biographique à Courier en personne. Depuis, le premier quart du 20e siècle, on s’est aperçu qu’une main autre que la sienne rédigea des « éclairages  » parfois problématiques de sa vie militaire. La sélection des lettres opérée pour ce site et notamment celles de la période de service de l’« ancien canonnier à cheval  » constitue un document inestimable pour qui se veut faire une idée précise des us et coutumes d’une armée qui, quoique dévoyée, conserva un incontestable panache.

L’apport infini des travaux de Geneviève Viollet-le-Duc

Geneviève Violet-Le-Duc
Correspondance Générale - Tome 1
Geneviève Viollet-Le-Duc
E n formation à l’École militaire de Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons en Champagne), ce diable d’homme confiait à ses parents (Cf. Lettre du 25 janvier 1792) son ambition de vouloir non pas « paraître heureux mais l’être  ». Dans ce bonheur, n’entraient pas pour rien les amitiés. Aussi Courier les cultiva-t-il aussi bien que la fréquentation des auteurs de la Grèce antique et les latins. Parmi les amis, et peut-être le meilleur de ses amis, le général François-Nicolas Haxo de deux années plus jeune que le pamphlétaire, connu sous la Restauration comme le « Vauban du XIXe siècle  ». Tissés à l’époque heureuse de Châlons, les liens qui unissaient les deux hommes étaient si solides que les divergences politiques de taille (Napoléon exilé à Sainte-Hélène, Haxo servit les Bourbons) ne parvinrent heureusement pas à les séparer. C’est si vrai qu’après l’assassinat de son ami, le général fut désigné comme tuteur des deux fils Courier. Dicté par la fidélité à la mémoire du disparu, un autre devoir l’attendait : superviser l’édition du RCL. Haxo vérifia toutes les pièces avec la méticulosité dont il était capable. Par contre, il laissa passer certaines erreurs dans la notice d’accompagnement du recueil, source d’accusations fantaisistes ultérieurement portées contre Courier comme sa prétendue désertion devant le siège de Mayence au cœur de l’hiver 1794-95. Animés du souci de comprendre, les chercheurs, et parmi eux surtout André Lelarge, ont mis en évidence combien cette notice était à prendre avec beaucoup de précaution. Son utilité étant discutable et ayant produit sur ce site des éléments précis de biographie de Courier, nous l’avons bonnement écarté.
L’édition Sautelet fut suivie de beaucoup d’autres qui prenaient celle-ci comme matrice. Au fil des années, on découvrit d’autres lettres de Courier, lesquelles vinrent grossir les différentes éditions. En ce domaine, la Pléiade reste la référence mais ce volume dirigé par Maurice Allem présente un défaut, et de taille : il est devenu introuvable !
Les amateurs de Courier n’avaient plus qu’à fréquenter les bonnes bibliothèques ou à écumer les bouquinistes. La patience n’est-elle pas la vertu de ceux qui aiment ?
Jusqu’au jour où la descendance Courier, propriétaire d’archives privées relatives à son ancêtre décida de s’en séparer et de les remettre à la BNF. Mme Geneviève Viollet-le-Duc, arrière-petite fille d’Emmanuel Viollet-le-Duc, ami du pamphlétaire et petite-fille d’Eugène, le célèbre architecte, et présidente-fondatrice de la SAPLC demanda et obtint de consulter ces archives. Aidée de plusieurs collaboratrices – une équipe exclusivement féminine – parmi lesquelles Noëlle de la Blanchardière, italianisante émérite, Marie-Louise Concasty, helléniste de haut vol et Annie Angremy, à l’époque Conservateur au Département des Manuscrits à la BNF, Mme Viollet-le-Duc a donné une nouvelle et passionnante édition des lettres de Courier. Avec cette supériorité sur les précédentes : d’une part, elle a eu sous les yeux des originaux parfois édulcorés sinon censurés dans les éditions antérieures, d’autre part, elle a complété la collection, fournissant myriade de missives couvrant la foisonnante période 1818-1825 et souvent d’autres lettres écrites par des correspondants. De cet énorme travail sont nés trois passionnants volumes, travail qui aura rendu un inestimable service à tous ceux qui s’intéressent à l’œuvre de Paul-Louis Courier et procuré à leur auteur des heures de joie puisqu’elle déclare dans la préface du premier volume :

J’ai passé, en compagnie de Paul-Louis, des heures passionnantes et pleines de charme que je souhaite faire partager à tous les couriéristes présents et à venir.

Paul-Louis Courier, Correspondance générale, présentée et annotée par Geneviève Viollet-le-Duc, tome 1 (1787-1807), Klincksieck, Paris, 1976.
Paul-Louis Courier, Correspondance générale, présentée et annotée par Geneviève Viollet-le-Duc, tome 2 (1808-1814), Klincksieck, Paris, 1978.
Paul-Louis Courier, Correspondance générale, présentée et annotée par Geneviève Viollet-le-Duc, tome 3 (1787-1807), Librairie A.-G. Nizet, Paris, 1985.

La loi du 11 mars 1957 protégeant la création intellectuelle, nous ne pouvions reprendre purement et simplement l’incontournable travail ci-dessus évoqué. Nous avons néanmoins conservé les éléments de cette précieuse version chaque fois qu’elle différait d’avec celles antérieures pour les raisons plus haut décrites.
Puisse cette sélection de ces chiffons comme les appelle celui qui en est l’auteur réjouir les internautes, intéressés par un écrivain dont l’ambition fut de laisser un nom au Panthéon des études grecques mais dont la célébrité vint d’une part de ses pamphlets et de l’autre de ses merveilleuses lettres, en majeure partie rédigées au cours des bivouacs et sur les champs de bataille amoureux ou guerriers.

Jean-Pierre Lautman

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